Jean-Michel Iribarren

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"Vie d'Ange" 1990

 
résumé : vie de Ange Tournoyeur, qui à l'âge de 18 ans décide de mourir jeune, à l'heure qu'il choisira, seule réponse qu'il trouve pour se venger de l'horreur : Ange voulait mourir du temps de sa jeunesse. Sa volonté était à la mesure de la rage qu'il mettrait à vivre et qui sait à regretter la vie : il était le désordre à lui tout seul.

(extrait) « Ange ne marchait plus droit cette nuit de samedi. Mathieu non plus. Il embrassa Mathieu pour la première fois. "C'est tout" lui dit-il. "C'est tout" fit Mathieu en écho. Et il embrassa Ange. "C'est tout" redit Mathieu. "C'est tout" repartit Ange. Ce fut tout. Les bières qu'ils avaient prises transfiguraient Paris. Mathieu avait un an de plus qu'Ange. Il connaissait une boîte dans laquelle il l'entraîna. Lorsqu'ils furent à l'intérieur Ange ressentit une impression mitigée. Ces garçons c'était très bien, ils étaient presque tous beaux, mais en même temps il n'était pas à l'aise. Il murmura à l'oreille de Mathieu : "Tout ça manque de poésie, je crois que je vais sortir, il faut que le sang coule". Dans leur soûlerie commune il fut donc convenu que Mathieu resterait et qu'Ange s'en irait. Ange ressemblait à un enfant joyeux et inquiétant. Mathieu qui connaissait plusieurs garçons gardait son air mi-joueur mi-faussement sérieux. Ange se retrouva dehors. Il était très tard. Il suivit un garçon plutôt jeune à l'allure trop bien mise pour être debout à cette heure-là. Ange allait lui faire sa fête. Curieusement l'alcool qui lui avait fait perdre contact avec la réalité l'avait rendu plus lucide. "Les bourgeois c'est fait pour payer" se dit-il pas trop fort. Et il marcha derrière le jeune garçon qui apparemment cherchait un taxi sans en trouver, ce qui donnait à sa figure une expression d'inquiétude. "De toute façon il faut bien que quelqu'un paye. C'est écrit dans le livre." Il toucha le couteau offert par son père. Il y avait dans sa tête le concerto de Chopin. Les quelques notes du piano. Il avait attrapé le garçon qui mourait de peur sous une porte cochère. Le couteau sur la gorge. Il prend l'argent. Le couteau fait saigner la peau. Le sang coule. "Je suis avec toi, gémit l'autre, alors arrête !" "Et après ? On s'en fout. On n'est pas avec moi, c'est trop facile." Et Ange lui attrape les couilles. "Là aussi t'es avec moi ?" Mais l'autre ne répond plus. "File-moi ton écharpe." Ange approche le couteau de l'oreille juste pour être mieux entendu. "Tu t'en sors parce que c'est moi qui t'en sors, c'est nul tout ça." Et Ange range le couteau puis donne des coups au ventre. "Tu peux partir si t'arrives à marcher." Comme il restait couché c'est Ange qui s'en alla. Le petit jour se levait. Ange repensait. "Je suis avec toi." Et si c'était vrai ? Il ne trouvait plus son chemin pour rentrer. Les effets de la bière petit à petit se transformaient en mal de crâne. Il descendit près de la Seine à la hauteur du Louvre et s'allongea sur un banc. Il tomba du banc. Ange avait envie de dormir mais n'y arrivait pas. Un clochard qui passait se mit à lui parler. Ange aurait voulu le virer de là, le foutre à l'eau. Il n'avait pas la force. L'homme partit de lui-même. Ange n'y voyait plus très clair. Que fallait-il donc faire ? Détruire, pensait-il. Aimer ? Non, ça le faisait sourire. Encore se lever ? Partir ? Avant d'enfin trouver le sommeil, il pensa à Omar, à Mathieu. "Je suis avec toi." © »

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L'œil gauche de Vladimir

Barbe Bleue

H

L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"L'œil gauche de Vladimir" 1991

 
résumé : une nuit de Paris, noire, sans électricité, un homme et une femme sous les toits, un moine à la recherche d'un livre, un assassin, et Paris comme une femme veillant sur ses enfants.

(extrait) « Le soleil brillerait et le ciel serait bleu ce dimanche. Paris était tranquille comme elle le fut parfois, après toutes les guerres qui l'avaient éprouvée. Huit heures et demie. Les cadavres étaient ceux des voitures dépecées qui encombraient les avenues et les rues, des vitrines brisées, des portes enfoncées. La neige était redevenue blanche. Près de la gare Saint-Lazare, il y avait des gourdins jetés sur les trottoirs. On ne saurait jamais les mains qui les tenaient. Beaucoup plus tard, la Seine rejetterait un corps, quelque part en banlieue. Dans chaque arrondissement, quelques feux de bois achevaient de brûler. La fête était finie. Avec elle s'en allaient les sorciers et leurs enchantements. On se serait cru au printemps. Des oiseaux chantonnaient dont on ignorait de quel pays ils s'étaient envolés. Une vieille femme en guenilles chantait à tue-tête dans le quartier des Halles. Elle criait : "vive la jeunesse !" et se moquait des guerres qu'on déclarait à onze heures du soir. "Onze heures du soir !, répétait-elle en rigolant, c'est un monde !" On la prenait pour folle. Et la folie avait perdu ses droits. Huit heures et demie. On s'acharnait déjà à refaire l'Histoire. L'ordre était de retour, impatient, hautain, humilié, avec au coin des lèvres la soif de se venger. Pressés par leurs parents délivrés, des enfants reprenaient les chemins de l'école, cartables sur le dos. Mais ils n'étaient pas dupes. Certains avaient même un drôle de sourire et quelques traces ocre sur les mains. Bien sûr, le bruit des sirènes tonitruait et les flics avaient encerclé tout le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Mais des sirènes et des flics, il y en avait toujours eu. Le jour allait reprendre toute la place. C'était un dictateur, le jour, un dictateur sans ambition. Mais que pouvait-il faire contre ceux de la nuit, les affamés qui n'avaient rien bâti, rien qu'une nuit immense qu'ils n'en finiraient pas de perpétuer ? A huit heures et demie, ce matin-là, trois d'entre eux se dirigeaient vers une même église. Un moine à l'allure joyeuse. Sa robe de bure était abîmée, ses traits creusés mais, à le voir, on ne pouvait s'empêcher de penser qu'il courait vers un rendez-vous important. Ses pas s'accéléraient, pourtant il s'arrêta plusieurs fois sur sa route. Des gens qui avaient perdu leur chemin, un garçon pour qui il acheta une baguette de pain. Ailleurs, un homme et une femme marchaient lentement. Ils ne se disaient rien. La femme aux lunettes noires portait dans ses bras une sculpture d'ange. L'homme trébuchait souvent car il la regardait. Il la tenait par l'épaule. Tous deux semblaient se rendre à un destin auquel ils n'échapperaient pas. La scène s'était déroulée quelques minutes auparavant, lorsque les premiers rayons du soleil les avaient réveillés. Leur nuit était bien trop grande pour ce soleil-là. Si leurs pas étaient lourds, c'est qu'ils l'emportaient avec eux.© »

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L'œil gauche de Vladimir

Barbe Bleue

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La solitude du mal

Amalia




"Barbe Bleue" 1993

 
résumé : Deux ans de la vie d'Alexandre de Beaumanoir au collège Barbe Bleue, loin de Paris adoré, Alexandre le solitaire, différent, qui fera le chemin pour découvrir les mystères du château Barbe Bleue, de vie et de mort, jusqu'à trouver l'amitié, et la liberté toujours à recommencer.

(extrait) « La renommée de Barbe Bleue, unique en France, mélange de fascination, due à des résultats incomparables, et de crainte allant jusqu'à l'aversion. Certains parents n'y auraient pour rien au monde envoyé leurs enfants. D'autres, comme ceux d'Alexandre, s'y étaient résignés. En fait on ignorait presque tout du collège. Lorsqu'ils le quittaient un jour les garçons demeuraient étrangement silencieux. Ceux qui sortaient de leur réserve n'élucidaient pas le mystère. Il y avait bien un mystère Barbe Bleue. Déjà le nom du château aurait dû en faire bondir plus d'un. Mais depuis plus d'un siècle on s'y était habitué, on n'y prêtait plus attention. Le mystère de Barbe Bleue tenait plus à des choses qu'on disait, des rumeurs qui couraient, des enfants disparus, mais les preuves manquaient, rien ne pouvait jamais être vérifié, Barbe Bleue était une forteresse qui ne retenait personne, le collège avait même plutôt tendance à se débarrasser régulièrement d'éléments encombrants, s'il retenait des garçons c'était à leur insu, par quelque charme étrange, et puis les professeurs y étaient exceptionnels, Barbe Bleue était inattaquable, personne ne s'était jamais risqué à pousser bien loin une quelconque investigation. Néanmoins si l'obéissance y régnait, le fonctionnement de l'institution n'était pas aussi simple. Laberge livrait périodiquement à eux-mêmes les élèves des classes supérieures, dans des expériences d'autodiscipline dont on ne savait trop ce qu'il en pensait vraiment. Ces tentatives paraissaient contraires à sa personnalité despotique. Il semblait prendre un malin plaisir à les voir échouer. En même temps le supérieur leur faisait de longs discours sur leur liberté, l'usage qu'ils en feraient. "Qu'on ne me raconte pas de salades, vous êtes libres, Dieu l'a voulu ainsi, je ne puis rien pour vous, alors n'ayez pas peur. Ce sont les hommes qui ont démérité, la liberté ils n'y comprennent rien, ils la souillent et elle se retourne contre eux." Les garçons eux-mêmes s'étaient organisés. Barbe Bleue avait ses bandes, ses réseaux parallèles, les apparences mentaient souvent. Tant que l'essentiel n'était pas en péril, l'intégrité de Barbe Bleue, sa résistance au monde, ses réussites scolaires, on fermait souvent les yeux sur ce qui s'y passait. Une rigueur d'un autre âge côtoyait ainsi une étonnante liberté. C'était là l'œuvre de Laberge, il ne l'aurait jamais avoué, il connaissait bien la fragilité de toutes les entreprises humaines, avant tout il tenait à se préserver, à se garder des marges. Le supérieur était détesté et adorait cette situation. © »

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"H" 1994

 
résumé : Après la mort de H à trente-cinq ans. Tout commence : "qui sait ? peut-être même qu'un jour la mort ne nous fera plus peur".

(extrait) « ((lettre de H, 7 mai 1992) Je n'ai pas l'impression de trahir une amitié de 15 ans, en partant deux jours à Lille. Je ne me fais aucune illusion sur Y.- que j'aime bien c'est tout. Je sais qui tu es pour moi. Mais j'ai aussi besoin de pouvoir partir, si peu que ce soit, sans rien renier pour autant. Samedi, tu m'as confié : "je voudrais que tu me ressembles un peu plus". Est-ce que l'amour implique cette ressemblance en tous points ? Si tu pouvais me faire un peu plus confiance au lieu de me soupçonner- depuis toujours- de vouloir te laisser (ce que je n'imagine même pas).
J'ai fait un rêve amusant cette nuit : lors d'une réception chez moi- mais un "chez moi" différent du vrai- une femme voulait me voler le petit cendrier de poche que tu m'as offert et dans lequel je mets mes médicaments sida (et se trouvant sur la cheminée). Je savais qu'elle voulait le voler : elle demandait à chacun, sauf à moi : c'est à vous ce cendrier ? Vous ne voudriez pas me le donner ?
Elle le met dans son sac. Je fais comme si de rien n'était, mais je suis furieux. Je demande à chacun : "vous n'avez pas vu mon cendrier de poche ?" Personne ne l'a vu. La femme non plus. J'attrape son sac, je l'ouvre, je récupère le cendrier. Hauts cris de la voleuse et des invités : je ne suis qu'un goujat. L'appartement est à demi dévasté, tout le monde est parti. Mais je m'en fous. Je reste seul, le cendrier dans la main.
... Moi aussi je t'aime. Est-ce que tu en doutes ? Je me le demande. H © »

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"L'acharnement de soi-même" 1995

 
résumé : une parenthèse dans la vie de Hugo, l'hôtel du Palais dans une ville qui ressemble à Amsterdam, la mer. Le cercle des amis de Hugo au Palais dont il est la lumière alors que lui-même essaie de survivre à la mort de Vincent. Cette ville où la chanteuse Bill Feria dit-on s'est suicidée dans la tour qui porte son nom désormais.

(extrait) « On croyait à l'esprit. On baisait n'importe où, dans la vigilance de l'esprit. La vie ! J'aurais compté mes sous, j'en aurais gagnés toujours plus, j'aurais donné des coups de pied dans les carcasses qui m'empêchaient de marcher, jusqu'à ne plus les voir. Je ne t'aurais jamais quitté, t'aurais gardé pour moi, jusqu'à ne plus savoir quoi faire de toi. Je me serais interdit toute pensée, n'aurais jamais choisi, je m'en serais remis aux choix d'il y a longtemps, je serais mort ainsi, parce que c'était la vie. L'animal cherchait sa proie, là en plein jour, il buvait l'eau du fleuve, il dévorait à tout venant. Il se mit à pleurer. A son tour il se fit dévorer. Gisant, couvert de mouches, il entendait encore battre son cœur. Il décida alors de glisser dans la nuit, il s'y engouffra auréolé de toutes ses blessures. Tout changea. Les mouches une à une s'en allèrent voir ailleurs, elles ne supportaient plus l'odeur, ses yeux cherchèrent et cherchèrent, il se surprit à voir mieux qu'en plein jour. Finalement je t'ai laissé aller, j'ai gardé dans ma main des traces de baisers, sur mes lèvres des mots, un jour je me suis décidé à choisir, jamais comme ils voulaient, de doute en doute on s'est gardés : ce fut la nuit. On avait tant souffert, ton agonie la mienne, je ne voyais plus rien, parfois je t'entendais sourire, je décidai de rester. A l'animal tu pris sa chair défaite. Il me donna ses yeux. La nuit s'illumina à force de noirceur, le jour devint un souvenir de mort. Aujourd'hui on ne sait plus. Parfois je sens ta langue qui lèche la plaie qui se réveille. Pour toi je m'en vais rôder dans les terres d'avant, j'y sème le désordre, je fais tout à l'envers et lorsqu'on se retrouve tu me donnes raison. J'attends le jour où s'allumera la nuit et où les animaux retrouveront leur mère. Ils pueront des carnages anciens, ruisselleront d'écume dans le creux de leurs yeux. Ce sera la fin. A moins que toi et moi on invente autre chose. © »

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"La solitude du Mal" 1997

 
résumé : des meurtres sans explication, œil crevé et sable sur le sol, qui ressemblent au roman noir qu'écrit Léo Tirictiscu au moment où il rencontre Coutil, rencontre qui fera s'envoler la frontière entre le livre et sa vie.

(extrait) « Les articles publiés, Léo renonça à les lire. La mort toujours trimbalait une vérité inaccessible. Et ceux qui s'essayaient à en parler ne pouvaient que se tromper. Ils se trompaient avec cette belle assurance que donne l'ignorance. Pour approcher la vérité il fallait accepter le jeu de la mort, presque devenir son complice, avoir du sang sur les mains ou égratigner l'âme. Léo préférait rester à l'écart de cette comédie. Il assistait incrédule aux tâtonnements d'Angel pour écrire. Rien ne l'y prédisposait. Ce n'était pas un choix. Là résidait le point commun entre le meurtre et l'écrit. Chacun avait fait irruption sans prévenir. Sans réfléchir. Angel écrivait comme il tuait, sans se poser de questions. En cela il restait le même, il ne trahissait rien. Léo découvrait que destin et liberté œuvraient dans le même sens. Il aimait qu'Angel en soit arrivé là, à son insu. Angel allait-il continuer à écrire ? La persévérance, Léo la lisait dans le regard du vieil homme du début. Cette manière abîmée d'être encore là. Oui, il aimait qu'Angel écrive parce qu'il se sentait justifié. Justifié de ne pas l'avoir abandonné. Tant de fois il y avait pensé. Justifié d'avoir vu au-delà. Au-delà d'Angel même. Il songea à intituler son roman : "Tuer d'abord". Cette nouvelle proximité avec Angel lui était cruelle. Cruelle quand il pensait à Coutil. Depuis l'incarcération de ce dernier, Léo écrivait encore plus. Il ressentait comme une trahison. Sans Coutil il n'y avait pas d'Angel. Angel n'avait pas été arrêté alors que Coutil était emprisonné. Pourtant il lui semblait que la force était du côté de Coutil. Léo savait qu'il avait davantage besoin de son ami que le contraire. Mais si David voulait fuir parfois, Coutil lui voulait rester. La présence de Coutil donnait envie de vivre. Cette contradiction s'imposait à lui de toute son évidence. L'absence de Coutil le retranchait du monde. Il se décida à rappeler Gaby Steamer qui accepta de le revoir. Ils se rencontrèrent dans un café quai de la Tournelle, à proximité du Quai des Orfèvres. Ils ne parlèrent que peu des événements récents. Léo lui répéta qu'il était convaincu de l'innocence de ce Jérôme Cristie. L'inspecteur de police ne l'écoutait pas. Elle ne le croyait plus. Elle préférait parler de son nouveau dîner avec Restif. Pour elle l'affaire était classée, elle profitait d'un répit bien mérité. Alors ils reparlèrent des livres. Ce fut surtout Léo qui parla. Elle le quitta bouleversée. Le lendemain on frappa à la porte de Léo. C'était le quatorze juillet. Léo fut arrêté ce jour-là. Coutil venait de l'accuser. Gaby Steamer n'était pas présente pour l'arrestation. © »

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Amalia




"Amalia" 1998

 
résumé : Amalia Sané photographe, qui vit avec Tadzio le petit singe de Lisbonne, Amalia dont personne ne veut des photos et qui recherche pour se venger celui qui un jour lui a donné sa caméra (VL), Julien Rivière, le seul qui la comprend, le plus beau.

(extrait) « Je fais "chut" en mettant un doigt sur les lèvres. Je porte une jupe noire serrée mais pas celle pour les clients. Puisqu'il ne peut pas parler il m'embrasse. Un seul baiser sur une joue. Je pense à Judas que je suis. Surtout j'oublie ce qui s'est passé le matin. Lorsque Julien est près de moi il y a autre chose qui s'éloigne. Elle ne cherche pas à retenir ce qui s'éloigne. C'est la première fois qu'il m'embrasse. Je ne lui ai pas rendu son baiser. Ce ne sont pas les photos qu'il voit d'abord c'est Tadzio. Pourtant il est blotti au coin du lit, il se confond au reste. Julien comprend pourquoi je lui ai demandé d'être silencieux. On dirait qu'il connaît cette chambre. Il est chez lui comme dans la maison à Trouville. Pourtant il n'est pas chez lui partout, elle le sait. On va se parler en chuchotant comme on parle devant une tombe. Il demande : "Qu'est-ce qui s'est passé ?" Je le regarde, j'essaie de comprendre comment il a deviné que Tadzio ne dort pas comme d'habitude. C'est moi, il a dû lire sur mon visage je dois être laide. Pourtant il m'a embrassée. Lui expliquer ce qui s'est passé ce matin, ce serait parler de la manipulation. Et la manipulation c'est lui. Encore une fois elle se piégeait elle-même. Face à Julien je n'avais pas d'autre solution que de dire la vérité. Il suffisait de le regarder. Il caressait Tadzio doucement. Si doux que le petit ne se réveillait pas, il poussait juste les petits soupirs que je connais bien, les petits soupirs de Tadzio au bord de la souffrance quand il se réfugie dans le sommeil. Tadzio a commencé à aimer Julien dans le sommeil, sans un mot, même un regard. Et la voilà qui s'attendrit ratatouille comme si la manipulation n'avait jamais existé. Ou plutôt elle s'attendrit en pleine manipulation. C'est une photo qu'elle ne fera pas. Il n'y a que les photos pour échapper à la manipulation parce que les photos aussi sont dedans. Une photo qui n'y est pas tu la jettes. Expliquer à Julien l'agression de Tadzio, c'était commencer par lui montrer des photos. C'était raconter Mamoudou. Tout raconter. Il va en falloir des jours si elle veut tout lui dire. Tout en sachant qu'il y a une limite au-delà de laquelle la vengeance se bouchonnerait toute seule. Ce jour-là elle a commencé à jouer avec cette limite. C'est un jeu qu'elle déteste jouer avec Julien et en même temps il lui plaît. Elle revoit les yeux de Lucifer au zoo de Lisbonne. © »

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La solitude du mal

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"L'Insecte" 1999
Éditions du Seuil - collection Solo, dirigée par René de Ceccatty
 


résumé : monologue du virus du sida : On a beaucoup parlé de moi et pas d'eux.

(extrait) « La Dernière Heure

c'était quand le moment où j'aurais pu si j'avais voulu, y avait quoi au commencement du cauchemar
y avait toi déjà y avait toi les fourmis ne sont arrivées qu'après, au début on ne les a pas vues arriver tu te rappelles elles étaient bien plus rusées que nous, puis un jour on s'est retrouvés entourés de fourmis, des fourmis partout c'est peut-être là que ça a vraiment commencé, avec les fourmis
non, si je réfléchis bien, c'est drôle je n'ai jamais aussi bien réfléchi tu me réfléchiras aussi, au début y avait mes livres y avait même mes livres que je n'écrirai jamais, même celui que je suis en train d'écrire là, y avait des musiques espagnoles, y avait Silvio aussi, il est là maintenant Silvio on ne se parle pas mais il est là même pas besoin de se tenir la main
la dernière fois que tu m'as pris la main c'est parce que tu avais compris, toi qui ne me prenais jamais la main, tu as même dû comprendre avant moi ce que moi j'allais faire, depuis toujours tu attendais le moment où on n'aurait même plus besoin de se tenir la main tu trouvais ça trop humain de se tenir la main, tu étais inhumain, tu avais raison, tu dois être heureux que j'aie compris maintenant
au début aussi y avait des garçons que je trouvais beaux et les fourmis les ont dévorés, je suis seul maintenant seul avec les fourmis qui voudraient bien me dévorer aussi mais qui ne me dévoreront jamais
c'était toi surtout qui avais peur des fourmis tu les as vues bien avant moi tu me les montrais mais moi j'écrivais je ne voulais pas les voir je les ai vues tout d'un coup un jour je crois que c'était y a pas longtemps, je ne suis pas sûr, ça s'éloigne, c'est ça qui s'éloigne le début la fin la chaleur tout s'éloigne je ne souffre plus de rien, tu m'entends, de rien, il n'y a plus rien à souffrir
c'était surtout pour moi que tu avais peur des fourmis pas pour toi c'est ce qui m'a décidé je voulais que tu sois tranquille que tu n'aies plus peur des fourmis à cause de moi, si j'avais voulu j'aurais rouvert les yeux tu sais et ils n'auraient pas eu besoin d'aller chercher dans mon cerveau comme tout à l'heure, qu'est-ce qu'ils croyaient trouver, y avait des fourmis parmi eux, je me suis méfié, y en a une qui a dit
c'est foutu, ça m'a fait rire parce que moi je faisais rouler mon cerveau dans la rue
c'est écrit à la fin de ce que j'ai écrit en dernier, c'est écrit, tu n'auras qu'à lire, tout est écrit
et dire que je voulais aussi que les fourmis me lisent mais les fourmis ne lisent pas, non bien sûr elles ne savent pas lire, mais toi il faut absolument que tu lises, et tout
je crois que j'aperçois maman maintenant, si seulement elle pouvait me voir aussi, maman ! maman ! je suis guéri ! si elle ne m'entend pas tu lui diras bien que je suis guéri surtout qu'elle n'aille pas croire ce qu'on lui dira tu lui diras
ton fils est guéri, ou tu ne diras rien, c'est aussi bien qu'elle croie que c'est lui, il ne faut pas faire de mal à maman, seulement à toi, tu as toujours été le seul à qui je peux faire du mal
c'est maintenant que je ne souffre plus du tout que le mal est partout, je suis couché dans le mal tellement bien, comme si j'étais couché avec maman, ce doit être ce qui fait peur aux fourmis et pourquoi elles me fichent la paix je ne vais pas rouvrir les yeux elles seraient trop contentes, il faut lui laisser croire c'est rien qu'un jeu comme au début
je les entends qui reviennent les musiques espagnoles
© »

article dans "Le Monde": https://archive.is/VyGL

Amazon: https://www.amazon.com/Linsecte-French-Edition-Jean-Michel-Iribarren/dp/2020407205

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Yaguine

Undead

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Géant

Âmes dehors (trilogie)

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"Yaguine" 2000

 
résumé : dialogue entre JM et Yaguine, l'enfant malien mort caché dans la soute de l'avion qui devait le porter jusqu'à la France.

(extrait) « Le monde reste incroyablement beau. Même la misère quand tu la regardes elle est belle, incroyablement belle. Pasolini assassiné mais les garçons de Rome s'embrassent dans les parcs la nuit, à deux pas de ce qu'il reste des dieux. On fait toujours l'amour, un beau couple c'est toujours bouleversant, rien n'y fait. Les écrivains écrivent, ils n'ont jamais été aussi nombreux et quand on sait ce que ça peut te coûter d'écrire, même une merde... La mort ne tue toujours pas l'amour. Ceux qui meurent sont beaux : l'infirmière disait d'Hervé sur son lit de coma qu'il ressemblait à un ange, tu as embrassé son front glacé à la morgue. Les enfants croient tout ce qu'on leur raconte, ou bien ils pleurent mais ça ne dure jamais. La mer a toujours de ces couleurs. Les gens écoutent encore les gens : va faire un tour dans les cafés, le matin à Paris. Les gens consolent encore les gens. Les femmes étendent encore le linge. Dans les banlieues il y a de ces femmes noires et comment elles regardent leurs enfants : les mères restent les mères, avec la peur. L'horreur non plus n'a pas disparu, on peut encore mourir de faim, ou dans une flaque de sang : les cris résonnent encore, partout, même en silence. Ni l'horreur, ni la révolte, tu connais des cœurs à éclater de révolte. Le monde reste incroyablement humain quand même.
Alors d'où ça vient ? Cette impression de fin du monde. © »

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"Undead" 2002

 
résumé : autobiographie.

(extrait) « j'ai marché toute la journée, je sais plus où, dans ces grandes avenues où je sentais le souffle de ma vie, où ma vie était déjà là sans moi qui m'attendait, y avait en ce temps dans Paris une partie de moi qui me courait après, qui désarmait pas... vers le soir j'ai pris le chemin du retour, je suis monté dans un bus qui me ramènerait chez moi, rien avait changé, simplement j'avais arrêté de travailler le temps d'une journée, j'étais assis au fond du bus, à un moment j'ai regardé en face de moi : il devait avoir mon âge ou un peu moins, il était blond, il était magnifique de beauté, je lui ai jamais parlé, il sait pas qui je suis, je lui dois tout... c'est en le voyant lui, ce garçon blond qui avait je crois un manteau vert, qu'en une seconde j'ai basculé : vers moi, pour ce que j'ai toujours appelé l'acceptation, pas la résignation, l'acceptation des garçons, que ce serait ça et pas autre chose, que depuis toujours j'étais homosexuel, sale mot mais puisque c'est le mot : c'est ce que j'étais, en une seconde ça m'a paru magnifique de l'être, et stupéfiant d'avoir tant attendu, j'allais le dire à la terre entière, la terre entière allait le savoir, je voyais celui que j'étais déguerpir sans demander son reste, il reviendrait plus jamais, je le plantais là l'inaudible, il me laissait aucun regret, il me dégoûtait presque et avec lui tous ceux qui l'avaient forcé à rester inaudible... en même temps j'avais envie de leur dire merci à ceux-là, tous, les humiliateurs, les empêcheurs, je leur devrai toujours tout aux humiliateurs et aux empêcheurs, je leur devrai toujours cette seconde dans le bus, sans eux y aurait jamais eu cette seconde, ce moment où tout a basculé, où demain s'est écrit d'un seul coup, tout ce qui allait venir, j'en voudrai jamais au malheur comme les autres lui en veulent, le malheur m'a tout donné de jamais l'avoir accepté, les empêcheurs de jamais leur avoir cédé, cette seconde restera pour toujours indescriptible, y aura jamais de mots pour dire ce que c'est de devenir soi-même, ç'allait se voir physiquement le changement dû à cette seconde dans le bus, ç'allait se voir pour tout, je viens de cette seconde qui elle-même vient de si loin que je saurai jamais d'où : de l'enfance peut-être, de l'oppression que c'est l'enfance, que ce sera toujours et quelle que soit l'enfance, l'oppression que c'est la famille, que ce sera toujours et quelle que soit la famille, elle venait la seconde du garçon à la barque qui me souriait près du canal et que j'avais laissé repartir, de cet autre croisé devant un marchand de journaux, elle venait peut-être de Lucien quand il avait dit l'important c'est d'aimer, elle venait de la solitude, ces nuits passées seul avec Kali dans ses pattes et son flanc, de tous les regards assassins que j'avais dû affronter, elle venait du meurtre ma seconde, de tous ceux qui sont morts parce qu'ils ont jamais eu comme moi une seconde dans un bus une fin d'après-midi : elle venait de tous les autres, de lui le garçon blond qui saura jamais ce que je lui dois, ceux d'avant moi qui comme moi un jour s'étaient pas résignés, ceux d'après moi qui comme moi se résigneraient pas que le monde soit ce qu'il est, impitoyable et sans aucune raison, assassin et sans aucune raison, et nos bourreaux, un grand merci à nos bourreaux d'être ce qu'ils sont, on leur doit à nos bourreaux de pas leur ressembler, de pas aimer la vie qu'ils servent avec tant de zèle et sans aucune raison, qu'ils continueront de servir avec autant de zèle qu'avant et sans aucune autre raison que celle de faire des victimes, toujours davantage de victimes, elle venait ma seconde de Vincent et elle lui reviendrait, tout pouvait commencer. © »

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Âmes dehors (trilogie)

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"Wild Samuel" 2013

 
résumé : Wild et Mathieu se connaissent à l'âge de onze ans, leur lien est si fort qu'ils peuvent même se retrouver dans leurs rêves. Mathieu meurt à vingt ans. Wild ne pourra se résigner à être séparé de lui et le recherchera même malgré lui, accompagné par Ankhchen, la femme mystérieuse et si proche à la fois qu'il retrouve à Berlin.

(extrait) « Mathieu, c'est ton grand ami qui est mort, c'est ça ? Oui, pour faire simple. Je sais, Elsa m'a un peu raconté. Wild hésite. Elle t'a raconté pour les rêves ? Matthew le regarde sans comprendre, non, c'est quoi ? Wild hésite encore, c'est rien, enfin, non, pas rien mais je peux pas, comme ça. Tu peux essayer. Oui, un jour, j'essaierai. Tu me fais pas confiance ? Aucune ! il lui passe la main dans les cheveux. Il était juif, Mathieu ? Non, il ne l'était pas mais lui il disait qu'il l'était peut-être sans le savoir. Il était pas un peu zarbi non, Mathieu ? Wild sourit, oui, un peu, c'est pour ça qu'on était ensemble. Wild ? Oui ? C'est parce que tu préférais les garçons que tu es pas resté avec maman ? et que t'es jamais resté avec une femme ? Wild le regarde en souriant : quoi ? c'est Elsa qui t'a dit ça ? Non, tu parles ! jamais elle dirait une chose pareille, c'est juste moi, à cause de ton histoire... Finalement Wild dit, Mathieu, lui, préférait les garçons comme tu dis, mais en même temps ça veut pas dire grand-chose, ça, préférer les garçons, mais pas moi, moi j'aimais les filles, c'est tout, ç'a pas changé, c'est tout, et j'aimais Mathieu, il m'aimait aussi même si on disait pas ça, aimer, on le disait jamais, surtout pas lui. Wild ? Quoi ? Je veux pas... Non, tu as raison, je veux que, toi et moi, mais si tu commences par Mathieu, c'est compliqué. Alors c'est à cause de lui que je m'appelle Matthew ? Tu crois ? sourit Wild. Matthew dit, je peux te demander quelque chose ? Non. Je te le demande quand même, avec lui, vous aviez des relations, tu sais, physiques ? Non. Tu voulais pas ? C'est surtout Mathieu qui aurait pas voulu. Matthew secoue la tête, c'est zarbi. C'est zarbi oui, bon, alors ? t'es rassuré ? De quoi ? Que je préfère les filles, dit Wild. Bof, j'ai pas besoin d'être rassuré, c'est pareil, mais tu m'as pas vraiment dit que tu préférais les filles, si je t'ai bien compris, enfin moi j'ai pas compris ça. Tu veux jouer au plus malin, alors ? dit Wild. Matthew lui passe la main dans les cheveux, t'as raison, quand je te regarde, t'es le genre d'hommes qui plaît aux femmes. Pas toi ? dit Wild. Moi, ça dépend, je les fais rire, je les amuse, les filles, mais toi... Oui ? Toi, t'es pas très mature, elles doivent aimer ça. Wild ne dit rien. Il raccompagne Matthew un bout du chemin vers l'appartement de la Rykerstra?e. Ils se prennent dans les bras pour se dire au revoir. Je t'écoute souvent, tu sais, you're simply the best ! En repartant, Wild pense, je déteste parler de nous, c'est impossible, et puis qu'est-ce qu'il peut comprendre, Matthew ? Il imagine Mathieu lui dire, c'est pas lui, c'est toi, toi qui as jamais su parler de nous. Il marche jusqu'à Alexander Platz. Le soleil est voilé. Ensuite le U-Bahn, ligne 2, puis le S-Bahn, ligne 1, pour aller retrouver Hilde, près des lacs. © »

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Matteo le magnifique




"Géant" 2016

 
résumé : une heure dans la vie de trois personnages, la même heure. Vincent l'écrivain, dans sa chambre à Paris. Léa dans sa chambre d'hôpital où elle va mourir. Et Ben, le jeune cardinal noir au conclave de Rome qui élira le prochain pape.

(extrait) « (Ben) Le père de Vincent avait fui le nazisme quand ils brûlaient les livres, et puis il a fondé sa librairie à Paris. Ça Vous a fait quoi à Vous, quand on brûlait les livres ? Vous êtes resté bien silencieux, Vous nous voulez trop libres, c'est Votre excuse, la liberté. Jim Mortail, c'est le nom que donne Vincent à Géant, j'ai lu quelques pages, Jim est jeune, drôle, un peu perdu, un peu comme nous en somme, c'est le problème, son Dieu est trop comme nous, nous n'arrivons pas à Vous imaginer autrement que nous, jamais nous n'y arriverons, et si un jour, comme Thomas d'Aquin, nous avons une vision, nous serons perdus pour les autres, c'est sans fin, comme mon cercle. Vous êtes une idée, mais moi je ne me résous pas à ce que Vous soyez une idée, je préfère me tromper sur Vous plutôt que de faire de Vous une idée. J'ai un faible pour Satan, Vincent l'appelle Lucien, il fume, comme Mouna, et Vous, Vous ne pouvez pas Vous passer de Lucien. Visconti glisse sa feuille vers moi, je la lui reglisse sans la regarder, il soupire. Visconti voudrait se faire aimer, il a beau être un cerveau, il veut être aimé, et Vous ? Il aurait pu être pape lui aussi, plus Lucien que Jim, un pape qui pencherait vers Satan, ça nous changerait. On dirait que Danilo a changé de place, il s'ennuie, il me regarde moins, mais non, il me regarde à nouveau, il me sourit, je dois inventer, je n'ose pas sourire, Danilo me terrifie. Je serais mieux dans mon petit appartement du Trastevere, avec mes livres, je relirais Notre-Dame-des-Fleurs. Je ferme les yeux, le félin noir se faufile entre nos jambes, notre fleur de savane était bordée par les décharges publiques. Un jour Samuel m'a dit, j'ai un copain comédien qui a un appartement presque vide au Trastevere, il est d'accord pour que tu y loges quand tu es à Rome, il est très riche, il s'en fout, il préfère que l'appartement ne soit pas vide. J'ai rempli l'appartement de livres. Le comédien riche, je l'ai connu un soir, on a pris une pizza ensemble, il n'arrivait pas à croire que j'étais cardinal. Mais je le suis. © »

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Âmes dehors (trilogie)

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trilogie « Âmes dehors »

 

premier roman : "Décal'âge" 2018

résumé : Velma est veuve depuis un an. Alain, l'homme de sa vie, est mort. Elle décide de s'en aller à la recherche de son fils parti il y a dix ans aux Etats-Unis et dont elle n'a plus de nouvelles. Ce roman raconte la quête de Velma là-bas, loin de Paris.

(extrait) « Ils sont sortis, ils sont sur la place devant l'hôtel où se passe la dernière scène du film The way we were, encore un film de l'année d'Asa. Asa t'aime encore, a dit Frédéric, ça m'énervait d'ailleurs, il a dit ça aussi. Alors tu viens avec moi à la radio ou on traîne encore ? Tu veux traîner où ? N'importe où, comme on faisait à Paris. Tu as dit que Paris c'était fini. Pas là, et il montre son cœur. Tu as encore le temps de traîner ? et ta radio ? J'ai le temps, viens. Et c'est reparti, comme avant. Sa mère était morte et elle revit pour lui. Il se sent fier, il se sent revivre mais il ne lui dit pas, elle le devine, elle le connaît, elle pense à Matthew. Elle pense que Matthew ne lui suffit pas entièrement, qu'il fallait aussi qu'elle soit là, aime-la, il a dit le fils pervers. Tu sais toi pourquoi il a appelé son nouveau recueil de poésie Vies perdues ? Il dit qu'on perd sa vie tous les jours et puis qu'on va à la recherche de sa vie perdue, quelque chose comme ça, il est comme ça ton Matthew, compliqué mais lumineux. Elle pense que oui Matthew est lumineux et que lui Frédéric est sombre mais que les deux donnent l'impression du contraire de ce qu'ils sont. Et moi je suis quoi ? lumineuse ? Toi tu es ma mère, Matt souffre beaucoup de l'absence de la sienne. Il se tait. Ils marchent. Elle ne sait pas où ils sont. Dans la 5ème avenue. Tu m'accompagneras à la radio ? comme ça tu verras Matt. Non pas ce soir mon chéri, je t'écouterai. Il faudra bien pourtant qu'on soit tous les trois un jour. Elle pense. Après elle dit, on est tous les trois, non ? Tu sais bien, tous les trois pour de vrai, ensemble, au Stonewall ou ailleurs, pourquoi tu viens pas vivre avec nous, tu vas pas toujours passer ton temps à l'hôtel quand même, je dirai à tout le monde que je vis avec ma mère et mon meilleur ami, l'appartement est très grand, si tu ne veux pas me voir pendant des jours c'est possible, je t'assure. Tu es fou, elle dit, qu'est-ce que tu vas inventer là. Je ne vois pas en quoi c'est fou, c'est pas plus fou que ce que tu as fait pour me retrouver. Mon chéri, tu es fou, et il faut bien que je retourne à Paris, mon visa finira bientôt, même si je revenais il faut que je revienne à Paris. Matt ou Asa peuvent t'arranger ça, le visa, et puis si tu reviens dans cette ville, tu reviendras pas, et tu en mourras. Son cœur bat. Frédéric lui a toujours dit des choses comme ça, terribles, vraies, à mourir. Tu ne sais pas ce que c'est, la mort de papa, pour moi. Il se tait. Sa main sur son bras lui presse le bras. Pardonne-moi. Elle sent des larmes, elle les refoule. Appelle-moi un taxi, je suis fatiguée maintenant, on se verra demain, quand tu veux, avec lui si tu veux, avec Matthew, je suis fatiguée. Je t'ai fait du mal encore hein ? Elle le regarde, son visage, le pull gris qu'elle lui a acheté. Elle l'a toujours tellement aimé. Oui mais c'est ce qu'on fait quand on aime. Taxi ! © »



deuxième roman : "Rollercoaster" 2021


résumé : suite de "Décal'âge" : New York, Frédéric, Velma (sa mère), Matthew. Matthew vit avec Frédéric depuis douze ans, il est aussi l'amoureux de la mère de Frédéric. Frédéric fait une émission de nuit à la radio : Streetwalk, sous le nom de Jimmy Prince. Et il y a ceux qui l'écoutent la nuit dont les chemins de certains vont finir par se rencontrer, et parmi eux, Diego, le jeune immigré qui rencontre madame Soledad, et aussi celui qui a écrit à Jimmy une lettre avec le mot 'rollercoaster'... jusqu'au virus qui désole NYC... mais la cité revit quand même...

(extrait) « C'est une curieuse ambiance. Ils sont tous là. Elle se fait attendre, Diego aussi. Elle a dit à Diego, j'y vais si vous restez avec eux quand je partirai, promettez. Il a promis à contrecœur. Roberta s'affaire dans la cuisine avec Pete. Il y a ceux qui la connaissent, et ceux qui, Steven, Chet, Roberta, Andrew, Pete, ne la connaissent pas encore. La table est mise, celle censée célébrer la fin d'une pandémie dont on n'est pas absolument sûr qu'elle soit finie. Ils sont tous vaccinés, ils peuvent s'enlacer, s'embrasser, se tenir. Comment va Ronald ? Et ta mère, toujours à la radio ? Vous faites quoi cet été ? Vous irez au grand concert à Central Park ? Et la porte d'en bas sonna. Le silence. Fuck on dirait qu'on attend la reine de Saba ! Ils se lèvent tous quand elle entre. Oh non restez assis boys ! Diego à ses côtés sur le qui-vive. Frédéric, Matthew et James en cortège pour aller l'embrasser. Elle est émue. Elle pense à lui, l'absent, elle y pense toujours. Elle le cherche de ses yeux malades, Vicente. On ne sait jamais. L'un après l'autre, et Roberta aussi, lui tendent la main, elle les embrasse. Je vous embrasse, j'ai tant entendu parler de vous. La reine de Saba s'assoit avec son page (Diego) à ses côtés. Elle demande si elle peut fumer. Je suis énervée, c'est normal. Ils lui tendent tous ou presque un briquet. Ils se mettent à rire. Et elle, son rire de jeune fille. Écoutez, faites comme si je n'étais pas là, vous me faites peur comme ça, au garde-à-vous ! Alors James, vous me présentez votre Andrew ? depuis le temps ! Elle ne l'embrasse pas à nouveau, elle les a tous embrassés déjà, sans savoir trop qui était qui, ou alors elle a oublié. Roberta s'approche, Madame, vous prendrez bien quelque chose à boire. Sûrement pas si vous m'appelez madame, Soledad, vous êtes bien Roberta ? et bien Roberta, je vais aider à la cuisine. Non, je vous en prie, tout est prêt. Un whisky alors, vous êtes gentille. Elle n'a pas la vue très bonne, elle les voit dans une sorte de vague, elle les entend, elle les respire, elle y croit à peine, être là. Diego, donnez-moi votre main, là. Elle parle avec Frédéric. On ne sait pas de quoi ils parlent. Ils parlent comme de vieux amis, ils n'ont pas besoin de se forcer. Frédéric, quel est le garçon ici qui n'aime pas les garçons ? à part Diego je veux dire. Oh, Pete ? Pete, Soledad te cherche, elle a demandé quel était le garçon ici qui n'aime pas les garçons. Pete arrive tout sourire, polo manches courtes pour exposer ses bras musclés. Enchanté, mais j'aime aussi les garçons, vous voyez bien, je suis là, Madame. Soledad, s'il vous plaît. Pardon, Soledad. Elle entre en conversation avec Pete, Pete la charme comme si elle avait vingt ans, ils rient, et vos études ? oh, Président ? rien que ça ? il est vrai qu'après ce qu'on a connu. Roberta, qui a fait la cuisine ? pas vous j'espère, c'est fini le temps des esclaves ! Ils m'ont tous aidée, surtout Chet. Plus tard elle parlera avec Chet, l'avocat, de la situation de Diego, l'héritage, tout ça, en secret. À table ! La glace est brisée. Elle garde son whisky. Allume une cigarette à table, ils ne disent rien, ils adorent ça, la femme désordre, la femme survivante. C'est Matthew qui parla de Vicente, comme ça, naturellement, elle murmura, merci, à son oreille, elle dit qu'elle aurait aimé être avec Vicente à l'un de ses dîners de garçons, mais ils ne trinquèrent pas à Vicente, tous auraient trouvé ça de mauvais goût. Et Pete (elle semble aimer ce Pete), de quel parti seriez-vous si vous étiez Présdent ? Et de reparler de Rudy le damné en se gondolant. Elle est assise à la gauche de James. On vit très bien avec un pacemaker, vous savez, James, s'il vous plaît, pourriez-vous me trouver un verre d'eau ? À un moment, elle s'est tue un peu. On la laissa tranquille, elle agitait l'éventail offert par son fils. Elle était heureuse et terriblement malheureuse aussi, pour tout ce qu'on sait, mais heureuse, essentiellement heureuse quand même. Diego, mon ange... Elle lui demanda si Edgar... Ils regardèrent l'ange, l'architecte de tout ça, ce capharnaüm d'une femme de quatre-vint-neuf ans au milieu de garcons et fille de vingt ans ou trente. En partant, elle a dit : on recommencera. Diego l'accompagna en bas au taxi d'Edgar. Vous êtes sûre... Diego, vous avez promis ! vous en avez fait assez quand j'y pense. La fête continua, un peu différente, ils parlèrent d'elle mais pas trop, ils se dirent des choses, des tas de choses, ils étaient des amis. Il entrouvre la porte, les draps bougent, elle respire, il a trouvé un mot dans sa chambre : vous m'avez redonné votre âge, dormez maintenant cher enfant. © »





troisième roman : "Hotel Monroe" 2022-... à suivre


résumé : suite de "Rollercoaster" : New York - Frédéric, Matthew, Soledad, Diego et les autres emménagent tous dans l'hôtel Monroe de Manhattan que Soledad et Velma ont acheté... commence une nouvelle vie

(extrait) « (Frédéric) En juin dernier nous avons fêté nos dix-sept ans ensemble. Michel et Alfie, eux, sont ensemble depuis vingt-neuf ans, Michel a des ennuis de santé mais Alfie est courageux et rien ne leur fait peur. Et si Matthew tombait malade ? Ce qui probablement arrivera un jour, ça arrive toujours, ou moi ? On n'y pense pas, pourquoi y penser ? Rien ne sépare ceux qui s'aiment. Ceux qui s'aiment vraiment ne sont pas nombreux contrairement à ce qu'on raconte. Tu ne rencontres que des couples qui évitent toujours le face à face l'un avec l'autre, toujours entourés d'amis, ou absorbés par le travail, jamais seuls avec l'autre. Moi je ne suis jamais aussi bien qu'avec Matthew. Nous sommes partis une semaine à Berlin, mais Michel et Alfie n'y vivent plus, ils vivent à Madrid, la ville au sang chaud. On est descendus à l'hôtel de Bourne, celui où descend Joan Allen dans le film de la série des Bourne qui se passe à Berlin. On s'est promené et on a mangé des gâteaux, et puis on est revenus pour le mariage de Pete et Celine. Entre notre voyage et le mariage, Soledad est enfin venue assister à une de mes émissions de nuit, dans le Queens, entre une heure et trois heures du matin : Streetwalk. Il faisait chaud sur la cité, et doux la nuit. Edgar l'a déposée vers minuit et demie. Matthew et moi on l'attendait en bas, à l'entrée des studios Kaufman. Diego bien sûr l'accompagnait. Elle regardait. J'ai beaucoup entendu parler de ces studios, je crois que James m'a dit qu'ils y ont tourné une partie de son film. Puis le studio de radio de mon émission. Steve, le technicien, lui fit un baise-main. Elle s'assit à ma gauche. Ici vous êtes Jimmy, plus Frédéric, mais pour moi vous êtes encore un peu notre Frédéric, elle a dit. Elle avait l'air éveillée, Diego m'a dit qu'elle avait un peu dormi avant l'émission. On lui donna la permission exceptionnelle de fumer mais elle écrasa sa clope aussitôt, que je suis mal élevée, rigola-t-elle doucement. Pendant les premiers intermèdes musicaux on ne parlait pas beaucoup, je lui expliquais des choses sur le déroulement de l'émission, elle disait qu'elle espérait que quand elle m'écouterait de nouveau dans sa chambre, elle ne perdrait pas la magie pour être venue ici. Je lui répondis que non parce que chaque nuit était différente. Elle répondit avec sa phrase favorite, qu'elle n'était pas née de la dernière pluie, on se regarda avec Diego. Puis j'ai commencé à parler à l'antenne, les textes que j'avais écrits dans la journée. À un moment, c'était le premier texte, elle m'a pris la main. Elle ne l'a pas lâchée. Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais cette main m'a donné des ailes. Je n'ai pratiquement pas suivi le texte que j'avais écrit. J'ai inventé d'autres mots. Quand ce fut fini, elle a juste dit : vous n'avez pas suivi votre texte, n'est-ce pas ? J'ai pressé sa main. Elle le savait ! Elle n'avait pas pu lire ce que j'avais écrit, surtout avec ses yeux, mais elle savait ! Et puis elle a lâché ma main et l'émission s'est terminée normalement. Elle a pris la main de Matthew qu'elle aime tendrement. Quand l'émission fut terminée, elle a dit, maintenant je ne sais pas si je pourrai m'endormir, je suis toute excitée. Vous prendrez un somnifère, lui dit Diego. Non, mon enfant chéri, je préfère repenser à toute cette nuit dans ma tête, nous laisserons la porte ouverte entre vous et moi, et Diego pensa que lui non plus n'allait pas s'endormir vite. Maintenant en vous écoutant, je vous imaginerai dans le studio. Il pensa qu'il n'aurait plus sa main dans la sienne pour bousculer ses mots mais qu'il aurait Matthew à ses côtés, pas toujours mais souvent. Elle les embrassa et leur murmura, merci, ainsi qu'à Steve qui lui refit un baise-main. Elle aimait dire merci. Edgar les raccompagna. Dans son lit, elle s'endormit aussitôt. © »

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"Matteo le magnifique" 2023

 
résumé : deux longs voyages à 45 ans de distance, deux tournants qui se rejoignent

(extrait) « Sur notre promontoire, Robert a voulu faire une photo de Matteo tout près du vide. Je me suis précipité comme pour le retenir, j'avais peur mais on a fait la photo, et puis une autre avec nous deux les bras en l'air triomphants sur notre roc. C'est la photo qui me reste le plus, celle du triomphe qui précéderait les malheurs parce que la vie est ainsi, jalouse, mesquine et revancharde. On a repris notre bus. Puis on a pris une espèce de téléphérique qui nous a amenés dans la brousse des montagnes bleues. Il y avait beaucoup de monde sur le chemin, des groupes et des groupes, je commençais à en avoir assez, surtout que Robert s'étalait dans les explications. Moi, les explications ça m'ennuie. Dans les bus touristiques je ne mets jamais les écouteurs. J'ai pas besoin qu'on m'explique, je regarde et j'imagine. C'est peut-être idiot mais c'est ainsi, je n'ai jamais vraiment été curieux dans ce sens-là, je suis curieux d'autre chose, des choses de la vie, de ces choses-là, pas des choses qu'on t'explique dans une excursion et même si c'est Robert qui les explique. J'ai parlé avec un gros gay qui adorait Dalida mais comme il était gros et pas beau j'ai pas trop prolongé la conversation. Et puis on a fait la queue avec la foule pour prendre un autre énorme téléphérique, entassés les uns sur les autres, j'en avais ma claque, Matteo le voyait, j'aurais pas dû lui montrer que j'en avais ma claque mais j'en avais ma claque, je n'aime pourtant pas le faire souffrir surtout dans un voyage tel que celui-là. On s'est retrouvé dans une espèce d'hôtel où on nous avait réservé une table avec un menu à choisir sur trois menus. On a pris le Fish and Ships mais je n'avais pas très faim. Je suis sorti fumer au parking, j'avais mal au ventre. Matteo est venu me rejoindre. Il était doux avec moi, il devait un peu m'en vouloir d'être comme ça mais il ne le montrait pas. Dans le bus j'ai été mieux. C'est là que j'étais bien en fait, en roulant, avec les plaisanteries de Robert, les choses humaines qu'il disait parfois, et Matteo à côté de moi. Le dernier arrêt je crois a été pour un zoo avec tous les animaux qu'on trouve en Australie, les koalas surtout, et les petits kangourous qu'on appelle des wallabys. Au moins là dans ce petit zoo on faisait ce qu'on voulait, on allait où on voulait. Matteo donnait à manger des graines aux kangourous. Les koalas dormaient dans les arbres comme des bébés, ils dorment tout le temps en fait. Matteo et moi on a fait une photo, payante évidemment, avec un koala dans les bras, le koala s'est juste réveillé au moment de notre photo, c'était mignon et bizarre. Dans le magasin du zoo, Matteo a acheté un autre chapeau, genre cow-boy. On a terminé le voyage par le stade olympique et le bus nous a amenés au ferry pour rentrer à Sydney. Robert nous a dit au revoir à chacun et moi je lui a fait un hug. Il nous a demandé si possible de faire un commentaire sur lui sur google. Ce qu'on a fait avec plaisir, ce fut la seule fois. Le ferry nous a ramenés au port, Darling Harbour, une des parties du port de Sydney avec plein de restaurants. On a mangé une pizza calzone dans un italien. J'étais pas si mal mais j'avais encore des problèmes de ventre, comme s'il était gonflé. On est rentré à pied à l'hôtel. J'avais tellement d'amour pour lui et je voulais tellement qu'il soit heureux. Mais ces vacances ne s'annonçaient pas comme les vacances sans taches ni problèmes qu'on avait toujours eues, partout, à Tel Aviv, New York ou en Californie, et ailleurs. Il nous restait un jour à Sydney avant d'entamer la folie des escales un peu partout. Faire les valises et les défaire. J'avais l'impression d'être au bout du monde, je l'étais, j'aurais voulu être tout le temps heureux avec lui.

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"Parce qu'eux" 1989
Éditions Saint-Germain-des-Prés

... et autres poèmes

 



Sachez-le ! Rien n'est ici à sa place et tout y sonne juste. L'amour surgit de ces poèmes comme de rites impurs ("des anges y croisent des robes noires"), le désespoir affleure sans l'emporter jamais. Car..., là où le verbe nous entraîne, "l'écume au loin des vagues éclaire un peu ces lieux". Force et lucidité de la vie incarnées dans les mots.
(Hervé Loyez)

« (l'artiste)

Ma mère et mon enfance je crois ce fut pareil

Pas un lieu un moment où elle n'était pas là

Ce fut sa création du début à la fin

Nous donnait ce qu'elle n'avait pas eu

Murmurait cela les soirs qu'elle se confiait

Il fallait trois fois rien pour que ce soit la fête

Ça n'était pas l'argent qui nous rendait heureux

On vivait dans un ordre qui n'était pas le nôtre

Pour Noël au repas on sortait la carafe à musique

Au cou du chien-loup on nouait une guirlande

On mangeait un peu ogres et on parlait beaucoup

Mon enfance ignorait le visage de la haine © »


Amazon: https://www.amazon.fr/Parce-queux-Jean-Michel-Iribarren/dp/2243031795/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1431619725&sr=1-2&keywords=jean+michel+iribarren

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France Culture : "Du jour au lendemain" par Alain Veinstein : "L'Insecte", de Jean-Michel Iribarren, éditions du Seuil, interview 2000

Alain Veinstein : Vous êtes né en 58 Jean-Michel Iribarren et votre éditeur nous informe que vous avez exercé divers métiers dans la politique et le cinéma, la politique et le cinéma c'est pas tout à fait la même chose...

Jean-Michel Iribarren : II y a beaucoup de gens qui disent que c'est pareil, je ne sais pas... Vous voulez que je vous dise exactement ce que j'ai fait ?...


Dites ce que vous voulez, vous êtes libre...

C'est vrai que j'ai fait beaucoup de choses... le parcours qui m'a mené a l'écriture a été long... j'ai commencé à écrire tard, à l'âge de 30 ans à peu près et je crois que ce que j'ai fait avant n'a pas franchement d'intérêt... ce qui est intéressant, c'est que tout ça menait à l'écriture, que l'écriture était déjà là même quand je n'écrivais pas, que mon meilleur ami, dont je parle dans le livre, lui, voulait écrire depuis qu'il était petit, ça a été long...


Et vous c'est une décision plus tardive ?

Ce n'a pas été une décision, c'est toujours une chose qui m'a étonné... J'ai toujours voulu, ça paraît un peu bête à dire comme ça, je ne sais pas : trouver sa place, m'exprimer dans une chose artistique, et ça a pris des chemins contournés, j'ai fait de la radio, j'ai voulu être comédien, et cette place je ne la trouvais pas... j'ai même tourné un rôle dans un moyen métrage de Jean-Luc Godard, et je crois que ça date de là, je me suis dit : c'est vraiment lui qui crée quelque chose, moi rien... alors je me suis dit qu'est-ce qu'il me reste ? il me reste écrire, alors j'ai écrit... parce que ce livre, c'est quand même pas le premier que j'ai écrit, c'est le premier publié mais c'est pas le premier que j'ai écrit.


J'allais vous poser la question

J'en ai écrit beaucoup...


Et pourquoi n'ont-ils pas été publiés... d'après vous ?

C'est très difficile que l'auteur dise ça, parce que s'il dit : c'est la faute des autres, on va dire c'est facile... je crois que le chemin qui mène de toute façon à une certaine reconnaissance, il est long et j'ai toujours dit que tout le temps que j'ai écrit sans être publié, j'avais une extraordinaire liberté, je crois que peut-être je n'aurais pas écrit L'Insecte si je n'avais pas été autant refusé, parce que j'ai vraiment été extraordinairement refusé, partout... j'ai rencontré des gens qui me disaient en substance : c'est bien ce que vous faites mais on ne va pas l'éditer ou... enfin il y avait toujours des raisons, honnêtes ou moins honnêtes, je n'en sais rien... je n'en sais rien, c'est difficile parce que maintenant je suis publié, je suis dans une maison d'éditions, alors je ne peux pas non plus cracher dans ma propre soupe, mais en même temps pourquoi pas...


Vous êtes publié mais en même temps, avec ce premier livre publié, vous faites une expérience dont vous m'avez parlé par écrit, puisque vous m'avez envoyé votre livre avec une lettre, une longue lettre, bien intéressante, vous faites l'expérience du silence, vous êtes heurté, c'est le mot que vous employez, au silence qui a accompagné la sortie de ce livre qui est sorti il y a 2-3 mois, et depuis 2-3 mois pas assez d'articles selon vous, pas assez de retentissement médiatique...


Non, il n'y a pas que ça, parce que si ce n'était que ça... On m'a dit aussi que c'était le propre de tout auteur de se heurter, quand il a écrit, à un certain silence... vraisemblablement... Mais ce livre parle du silence, et en l'écrivant, et dans ce que j'ai écrit, j'ai dit qu'il se heurterait au silence... j'avais un peu anticipé le silence parce que je croyais qu'il ne serait pas publié, alors il l'a été, et même à bras ouverts, de manière presque un peu inquiétante, et le silence c'est plutôt après, ce n'est pas un silence total, c'est un silence sournois... Ce livre je m'attendais à ce qu'il soit - peut-être naïvement, alors que ce que j'ai écrit n'est, je crois, pas naïf, mais c'est peut -être ce qui prouve que je suis encore dans la vie dans ce qu'elle peut avoir de... je ne sais pas comment dire... - donc les gens qui auraient dû soutenir ce livre ne le soutiennent pas, on me dit qu'ils ne savent pas comment en parler...


Et vous pensez qu'un livre ne peut pas se défendre tout seul...

Oui... oui, à la limite c'est d'ailleurs ce qui pourrait lui arriver de mieux, sûrement même ce qui pourrait lui arriver de mieux, parce que je pense que quelquefois dans la manière dont on défend un livre il y a beaucoup de malentendus aussi... mais c'est difficile pour un livre de se défendre tout seul, je ne sais pas si c'est plus difficile aujourd'hui qu'avant... mais le problème d'écrire, c'est qu'on est très libre quand on écrit, presque trop, presque trop parce qu'on est quand même coupé d'une certaine réalité, même si c'est bien aussi de s'en couper de cette réalité, parce que peut-être si on n'en était pas coupé on n'écrirait pas, et peut-être qu'on est plus proche d'une réalité plus essentielle... mais en même temps quand ce livre est écrit, il a besoin des autres, il a besoin d'être défendu, moi depuis 2-3 mois je me pose la question : est-ce qu'un auteur doit vraiment défendre ce qu'il a écrit ? c'est une question... en fait je réponds toujours oui, il faut défendre ce qu'on a écrit... mais peut-être que l'on devrait laisser les mots... et puis tant pis s'il y a le silence, peut-être qu'on devrait se résoudre à ça... je crois qu'il y a un orgueil aussi de l'écrivain qui est mal placé, il y a une envie de reconnaissance, de gloire, de gloire oui, enfin de gloire c'est exagéré, qui est mal placée aussi, qui est mal placée mais en même temps si on a écrit c'est parce qu' on a envie que ses mots "passent", les mots qui ne "passent" pas ils meurent, et moi je parle du silence alors si ce livre reste dans le silence, c'est aussi un échec du livre.


C'est un livre, c'est le moins qu'on puisse dire, qui crée un trouble... chez le lecteur...

C'est-à-dire...


L'Insecte, là, que vous publiez dans la collection de René de Ceccatty, Solo, parce que d'abord on ne sait pas si c'est un roman, ou si c'est un récit autobiographique...

C'est déjà son problème, pour ceux qui seraient chargés de le défendre... c'est un livre qui ne rentre pas dans une catégorie, c'est pas un essai, ça pourrait l'être, c'est pas vraiment un témoignage mais ça l'est aussi, alors au bout du compte je dis que c'est un roman, je pense qu'à partir du moment où j'ai fait parler le virus du sida...


Oui, parce que ça, c'est l'autre élément du trouble, c'est que dans ce livre-là, et à ma connaissance il n'y en a pas beaucoup qui en font autant, vous donnez la parole au mal, qui aujourd'hui en effet est le mal absolu, le mal qui à l'intérieur même du roman tue les personnages...

Il les a tués déjà... oui... est-ce que c'est le mal absolu ?... Ce qui est écrit aussi dans le livre, c'est que le mal absolu, c'est peut -être de ne pas regarder le mal...


L'indifférence...

Oui, l'indifférence... mais l'indifférence quelquefois ça n'est pas voulu, alors qu'il y a aussi une volonté de ne pas regarder le mal, il y a une forme d'organisation qui est basée, bâtie sur : ne pas regarder le mal... Ce que j'ai essayé d'écrire, c'est que ce qui fonde la vie, c'est aussi de ne pas regarder le mal, que tout se ramène finalement à ça... Le virus du sida, le pauvre, il a fait son travail de virus du sida et si je lui ai donné la parole c'est parce que justement je me suis dit que personne ne pouvait raconter, que j'en étais là, que personne ne pouvait raconter ce qui s'était passé et que justement celui qui pourrait le mieux le dire, ce serait le virus du sida... mais à partir de là on est quand même dans un romanesque, c'est pour ça qu'on peut dire que c'est aussi un roman mais c'est vrai que je ne raconte pas vraiment une histoire...


Non, c'est pas vraiment un roman à l'eau de rose... donc, il parle, il monologue, ce virus dans un livre écrit par un autre, un certain Sang Inquiet, qui est séronégatif, et qui vit avec Or Vif...

Sang Inquiet, c'est celui qui écrit le livre... donc c'est moi... et Or Vif, c'est la personne avec laquelle je vis, oui...


Sang Inquiet, c'est de l'encre noire...

Qu'est-ce que vous voulez dire ?


II est très noir...

Je ne crois pas.


... par son inquiétude même...

Non, ce qui est noir c'est justement de ne pas être inquiet, alors franchement je trouve que les gens qui vivent sans être inquiets sont... inquiétants... et qu'est-ce que ça veut dire être noir ?...


Noir comme l'encre...

Mais encore...


l'encre de l'écriture de ce livre... parce que c'est tout de même un livre...

ah oui, c'est un livre...


un livre ça ne s'écrit pas avec rien, ça s'écrit avec son sang, c'est-à-dire avec de l'encre...

Oui mais ça reste des mots... on ne sait pas en fait ce que c'est... et quand on a écrit un livre, on se dit que si ce n'est qu'un livre c'est pas la peine, si ce n'est qu'un livre...


Et qu'est-ce que ça peut être d'autre...

Peut-être qu' on écrit aussi pour le savoir... je crois qu' on se pose tout le temps la question... mais vous me disiez c'est noir, je sais que les gens qui ont aimé ce livre ne l'ont pas ressenti justement comme un livre "noir", ils l'ont ressenti comme un livre qui, je ne sais pas, qui leur donnait envie de lutter, qui n'était pas un livre désespéré, et que justement peut-être en disant le désespoir, en disant le mal, en approchant le mal, c'est là qu'on s'en sortait... C'est quand même ce que j'ai voulu raconter : que mes amis qui sont morts, ou ceux que je ne connaissais pas, j'ai eu l'impression que justement ils n'étaient pas morts pour rien, et que c'était le silence des autres qui voulait que cette mort soit vraiment une mort définitive... Dans la première page, je parle de colera alegria, j'ai voulu écrire une colère joyeuse, parce que ceux qui sont morts, dont on n'a pas parlé, n'ont pas cessé de rire, n'ont pas eu peur d'affronter leur mal... Mais la vraie question c'est quand même celle que vous m'avez posée, vous me dites c'est un livre, évidemment c'est un livre mais on se dit quand même, même si on a écrit ça, qu'un livre c'est pas grand-chose quelquefois, on ne peut pas se contenter de se dire qu'on a écrit, parce que quand on a écrit un livre on se sent un peu "quitte" aussi avec ce qu'on a écrit... je crois qu'on écrit pour savoir ce que c'est qu'un livre...


Qu'est-ce qu'il vous a appris ce livre-là sur vous-même ?

Il m'a appris que j'étais encore en vie... je ne sais pas s'il m'a vraiment appris quelque chose sur moi-même... et il continue de s'écrire ce livre, peut-être qu'il m'apprend presque plus de choses maintenant, peut-être qu'il me met aussi au pied du mur maintenant, puisqu'on parlait du silence qui peut aussi entourer ce livre, se dire : qu'est-ce que je fais maintenant, par rapport à ce livre ? est-ce que je me dis : je l'ai écrit voilà ou est-ce que je le défends ?... Et les autres continuent à écrire ce livre, je crois qu'on écrit avant, on écrit pendant et on écrit après, on écrit même quand on n'écrit pas. Est-ce qu'il m'a appris quelque chose sur moi ? je ne sais pas si on attend d'un livre... c'est pas une psychanalyse, un livre... on n'attend pas d'écrire un livre pour apprendre des choses sur soi, je crois que c'est plus d'aimer qui vous apprend quelque chose sur soi... c'est la confrontation au mal aussi qui vous apprend quelque chose sur soi, je n'essaie pas de me chercher dans mes livres... je pense que quand on écrit il ne faut pas non plus avoir une idolâtrie de la chose écrite, il faut être assez humble aussi, il faut aller vers les mots mais les mots... il y a quelque chose de très impuissant dans les mots, j'ai toujours dit qu'on écrivait plutôt entre les mots que les mots eux-mêmes... en même temps il y a cette chose quand on a écrit de dire : c'est écrit, alors c'est écrit c'est fini, et moi je déteste ce qui est fini, je ne crois pas a la fin, je ne crois pas à la fin d'aimer quand on aime, et je ne crois pas à la fin d'un livre, je pense que ce livre je l'avais commencé avant, que je le continuerai après...


II n'y a pas de dernier mot...

Non... on aimerait...


Même pour le virus...

Vous savez le virus, je l'ai fait parler mais je ne le connais pas si bien que ça, je crois que celui qui a écrit le livre... qui n'est pas totalement là, parce que c'est quand même un grand problème de venir parler de son livre, d'un livre, peut-être d'un livre comme celui-là...


C'est pas vous Jean-Michel Iribarren... ?

Oui, mais... vous savez j'aime beaucoup Barbara et elle disait : quand je chante c'est moi et ce n'est pas moi alors c'est moi et ce n'est pas moi... C'est peut-être ça, la recherche de soi-même...


Et là c'est qui aujourd'hui qui est en face de moi... ?

Ecoutez, c'est celui qui a écrit le livre qui est dans un studio de radio et qui... qui écrit mieux vraisemblablement qu'il ne parle...


Ou l'inverse...

Qui parle mieux qu'il n'écrit ?...


C'est possible, non?

... oui, j'aime bien parler... j'aime bien parler de ce que j'écris... il faut trouver le mot, la chose qui va vous faire dévider la pelote, quand on parle... Vous savez, j'ai écrit un livre à propos des homosexuels qui sont morts et je sais qu'il y en a qui se sont dit : bon c'est très bien ce qu'il écrit mais ce n'est qu'un livre, lui il n'a pas milité, il n'a pas combattu, il est séronégatif en plus, ce n'est qu'un livre... ils n'ont pas tout à fait tort non plus mais ils ont tort aussi quand même, parce qu'un livre c'est quand même beaucoup, on ne peut pas dire que c'est tout mais c'est quand même beaucoup... peut-être que c'est ça aussi le silence sur ce livre, c'est de mésestimer la force d'un livre... parce qu'il y a une force des mots... et que les mots peuvent aller contre la mort, contre le mal...


Ça, vous le pensez ?...

ah oui si je le dis, quand même...


C'est une drôle de confiance que vous leur faites aux mots...

Oui mais regardez... Je sais que le personnage que j'appelle Tête Perdue dans le livre, mon meilleur ami, qui est mort en 1993, qui était écrivain, Hervé Loyez, je sais que cette histoire avec lui continue et je sais qu'elle a beaucoup continué par les mots, ce qui prouve bien que les mots ne sont pas que les mots... Si je devais un peu mieux expliquer : il y a eu dans beaucoup de choses qu'il a écrites et que j'ai écrites avant sa mort, des choses qui anticipaient sur notre histoire "après" la mort... vous savez quand on pense que quelqu'un est mort mais qu'il est quand même encore avec vous, on est bien désemparé devant cette présence qu'on sent et qui est quand même absente, elle est quelque part, si on en est persuadé elle est quelque part, elle peut être dans les mots... c'est peut-être un peu bizarre pour celui qui entendra ça... mais oui je leur fais confiance aux mots, c'est un fait, mais je ne les crois pas tout-puissants, et puis je pense qu'il y a les mots et puis il y a les mots, et puis il y a ce qu'il y a entre les mots, et puis il y a sa propre vie quand même, je pense qu'on ne peut pas dissocier les mots de sa propre vie, et que beaucoup d'auteurs écrivent, et sûrement moi aussi, sans se dire : où est ma propre vie dans tout ça ?... vous comprenez, si l'on est qu'une institution, ou quelqu'un qui vient faire son livre comme ça... les mots se vengent de ça, les mots attendent quelque chose dans votre propre vie... les mots exigent de vous, ou alors ils vous rattrapent...


Vous n'êtes pas le maitre du jeu (je)...

On l'est trop et pas assez, on l'est trop parce que rien ne vous empêche quand on écrit, on se sent un peu tout-puissant... on ne l'est pas assez parce que tout ce qu'on cherche à dire on ne l'atteint jamais, qu'on a vraisemblablement trop parlé de soi aussi, qu'on veut écrire pour se déporter de soi mais que les mots vous ramènent toujours à vous-même quand même... je ne sais pas si cela a un rapport quand vous me demandiez : se connaître soi-même...


Je vous ai demandé ça, moi ?

Oui... vous m'avez demandé si en écrivant je me connaissais mieux...


Je vous ai demande ce que le livre vous avait appris sur vous-même...

Ce n'est pas la même chose... ?


Pas tout à fait mais enfin ne chicanons pas... II y a les mots et il y a les noms, il ya les noms que vous avez donnés aux personnages: Tête Perdue, Sang Inquiet, Or Vif... comme des noms d'indiens...

C'est un peu ça oui... c'est parce que je ne voulais pas que ces noms soient... je voulais un peu qu'ils soient symboliques, emblématiques, que ce ne soit pas totalement la réalité, mais j'ai donné aussi d'autres noms... voilà, ça c'est fait comme ça, je n'étais pas à Paris d'ailleurs, je réfléchissais à ça et j'ai trouvé ces noms-là, Sang Inquiet, Tête Perdue, Petit Balafré... mais bon, il ne faut pas y voir plus qu'il n'y a...


Et les indiens ont subi toujours de terribles hécatombes...

Peut-être, c'est vrai que quand on écrit il y a beaucoup de choses qui... on se dit après : tiens j'ai écrit ça... effectivement, peut-être... peut-être c'est en ça qu'un livre n'est jamais fini parce qu'il s'inscrit dans un lien, alors pourquoi pas, oui, avec les indiens... c'est drôle ce que vous me dites parce que j'en parle presque plus dans le livre que je viens d'écrire, de l'histoire des indiens...


Vous écrivez sur les indiens...

Non. Mais j'ai écrit un livre là, mais je ne sais pas si c'est très intéressant qu'on en parle maintenant, à propos des deux petits Guinéens qui avaient été trouvés morts dans la soute de l'avion il y a un an... j'ai imaginé un dialogue entre moi et un des garçons de cet avion... et c'est vrai que là, il y a des histoires d'indiens oui...


Et là dans L'Insecte, il y a une ligne, le livre suit une ligne qui est une ligne de partage entre "eux" et "les autres"...

Alors il faut que je vous dise qui sont "eux" et qui sont "les autres"... ? C'est ça ?


Bien, oui... mais vous pouvez y renoncer aussi mais ça serait dommage parce que c'est quand même au centre du livre...

"Eux", ce sont les homosexuels qui sont morts du sida et ceux qui étaient à leur côté, les homosexuels qui étaient a leur côté; alors "les autres", c'est... comment dire ? C'est le grand problème des autres, les autres ! Beaucoup me disent : "les autres", c'est les hétérosexuels, je sais qu'on a envie que ce soient les hétérosexuels, c'est vrai que ponctuellement dans cette histoire du sida c'est les hétérosexuels mais pour moi ce livre ne tient pas si on dit que "les autres" ce sont les hétérosexuels, "les autres" c'est : tout le monde, et "eux" se sont détachés des autres dans cette histoire du sida, ils sont devenus : eux.


Tout le monde, c'est-à-dire...

Tout vivant. Tout vivant qui participe a cette perpétuation de la vie, à ce système qui ne veut pas regarder le mal... tout ce qui est complice de ce qui fait la vie...


Vous laissez entendre que "les autres", ce sont les vrais malades... ceux qui disent n'importe quoi, qui disent par exemple que le sida a tué l'amour...

Oui, cette chose du sida qui a tué l'amour, alors ça je... le problème, c'est qu'il faudrait que je raconte tout le livre si je me mets à parler de ça, parce que le sida n'a pas tué l'amour non, ça arrangeait de dire que le sida tuait l'amour mais le sida n'a jamais empêché personne d'aimer... je pense que ce qu'on appelle l'amour est quelque chose qui soutient aussi ce que j'appelle le système de la vie... aimer vraiment c'est aller contre la vie, vous savez cette histoire de dire que l'amour est plus fort que la mort... on nous fait croire que l'amour est partout alors que c'est faux, parce que s'il était vraiment partout la vie ne serait plus ce qu'elle est... aimer va contre la vie... et le sida n'a pas tué l'amour mais le dire c'était un moyen de laisser dans le silence la mort des homosexuels...


Le sida n'a pas tué le rire non plus...

Non, parce que tous ceux qui sont morts ont beaucoup ri, beaucoup vécu, sûrement bien plus que ceux qui sont vivants, et qu'on plaisantait de la mort... Un jour je me suis levé, à un de mes meilleurs amis je lui ai dit : "alors pas encore mort !"... il y a eu une extraordinaire dignité là-dedans... et beaucoup de vie... Moi, ce qui m'embête aujourd'hui, c'est que j'ai l'impression que, même chez les homosexuels, on ne veut pas parler de cette histoire du sida, parce que la vie aussi fonctionne comme ça, sur l'oubli... alors que je pense que, si on n'oublie pas, si on regarde le mal, si on regarde la mort, c'est là qu'on est vraiment vivant, je pense que c'est ceux qui oublient, ceux qui n'ont plus la mémoire, ceux-là sont morts... et ça se retrouvera...


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lettres à ma mère - lettres de ma mère


(lettre à ma mère)

Hossegor-27 août 99

Maman chérie- (à lire à Papa, c'est aussi pour lui)
On disait avec Alfredo que c'était notre meilleur été depuis longtemps. Que dire de plus ? Cet été interminable, comme avant quand on était enfants, comme toujours et toujours grâce à vous qui avez su faire de la maison LA maison, la maison de toujours, qui jamais ne nous quittera, la maison qu'on recommencera, grâce à vous et grâce à tout cet amour de part et d'autre sans mensonges et toujours exigeant-
Voilà l'été 99, le coup de vieux de madame M, l'hétéroclito, Marcel, Guerregoga, mon débardeur de boxeur, la venta, ta culotte, papa au péage, la morue, "venez, venez", notre orage, tout sur ma mère, le saucisson de Jacky, nos ventres, le vin de Manu, l'arrivée de la nouvelle voiture, tes mains sur le ventre quand tu ris, Wilson, et la belle qui se promène sur le front de mer etc.
peut-être que j'écrirai tout ça un jour, notre belle histoire d'amour à nous
oui on recommencera JeanMichelH
PS : ne pas pleurer ©

Jean-Michel Iribarren


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