Jean-Michel Iribarren

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"Vie d'Ange" 1990

 
résumé : vie de Ange Tournoyeur, qui à l'âge de 18 ans décide de mourir jeune, à l'heure qu'il choisira, seule réponse qu'il trouve pour se venger de l'horreur : Ange voulait mourir du temps de sa jeunesse. Sa volonté était à la mesure de la rage qu'il mettrait à vivre et qui sait à regretter la vie : il était le désordre à lui tout seul.

(extrait) « Paris, lundi 21 mai 1973,

Je m'appelle Jean Tournoyeur (tout le monde m'appelle Ange) et j'ai décidé d'écrire un journal. Qu'on ne me demande pas pourquoi, peut-être qu'un jour je le saurai. Je n'aurais jamais rien pu écrire avant ce jour. Si on me l'avait dit, il y a seulement trois mois, j'aurais trouvé cela absurde, inutile. Mais peut-être que ça l'est. Mais c'est aussi l'absurdité des choses qui m'aura décidé. On ne peut pas vraiment dire que j'ai été complètement pris au dépourvu. Ce que j'ai découvert je crois que je le savais déjà, sans le savoir. Il me sera sûrement difficile d'expliquer ce qui s'est passé. J'ai vécu jusqu'ici à faire ce que j'aimais. Parce que pour moi c'était la seule façon. J'ai toujours été attiré par les garçons. Je n'ai pas beaucoup attendu pour avoir du plaisir avec eux. Chez eux je crois que j'aime tout. J'aime les garçons, pas les hommes. Je n'ai aucune idée de l'âge adulte. Les adultes me semblent une espèce tellement étrangère, surtout les hommes. Je ne les aime pas. J'ai des parents mais c'est comme si je n'en avais jamais eus. C'est tout. Eux non plus je ne les aime pas. D'ailleurs j'ignore tout de l'amour qui me semble aussi étranger. Ma vie c'est Paris qui fait partie de moi. On sait tous les deux des choses que ce journal peut-être ne saura jamais. Je suis né près du canal Saint-Martin, je le vois de ma fenêtre. Je connais dans Paris des endroits où des choses incroyables se passent. La vie dans ces endroits y est méconnaissable. Il est possible que ce ne soit pas la vie mais autre chose. Je n'ai pas cherché à comprendre car probablement il n'y a rien à comprendre. J'ai dix-huit ans depuis un mois très précisément. Ce qui est arrivé la nuit de mon anniversaire me dicte ce journal. Aujourd'hui je suis sûr que cela dictera aussi ma vie. Ma vie, c'est aussi ma bande de potes. Nous nous sommes appelés "les Incorruptibles" il y a plusieurs années déjà. Il y a sûrement une raison à ce nom. Notre bande c'est surtout cinq garçons avec moi. Et puis il y a Mathieu qui vient d'y rentrer avec qui je n'ai pas fait l'amour mais qui me ressemble un peu. Il y a aussi Antoine qui est beau. Être aussi beau qu'il l'est est une chose terrible. Tous les deux nous devons le savoir. Eux tous sont ma famille, avec Claire. Claire a quarante-cinq ans et possède un café où nous allons souvent. Elle est ma mère à sa manière. Si je n'aimais pas les garçons j'aurais sûrement fait l'amour avec Claire. Elle, elle aurait aimé. Nous sommes sa vie, elle aussi aime les garçons. Je la comprends mais je crois qu'à cause de l'amour elle a déjà beaucoup souffert. Ce qu'elle appelle l'amour. Nous en avons rarement parlé.
Je vais au lycée Voltaire qui n'est pas loin de chez moi. Je n'y ai jamais été bien. Je ne pourrai jamais accepter l'ordre qu'on nous impose. L'ordre en général. À la fin de l'année dernière j'ai décidé de jouer leur jeu pour mieux les avoir. J'ai décidé d'étudier. J'ai l'impression rien qu'à l'écrire que je me suis soumis. Mais moi je sais que ce n'est pas vrai. Leur ordre, pour des garçons comme nous, c'est plus tard la certitude de l'obéissance, de n'être plus rien après l'enfance. Je crois que c'est leur ordre mais c'est aussi celui de la vie. Je ne vais pas le subir. Ma vie ne m'intéresse que si elle ressemble à quelque chose que j'ai en tête. Il va falloir un peu faire semblant. Moi je saurai toujours ce qui compte. Je vais réussir mon bac, ensuite j'ai décidé de préparer Normale Sup, parce que c'est ce qui correspond le mieux à ce qui m'intéresse. Je vais les étonner. Je continuerai à aimer des garçons dans des endroits noirs où je ne verrai que leurs visages. Je retrouverai Claire qui nous fera fumer. Rien ne sera possible sans oublier un peu. J'irai toujours dans les gares juste pour regarder et puis dans les jardins. Aussi le long de la Seine. Quelquefois je regarde mon visage dans l'eau. Il y a des choses inexplicables.
Je veux dire dans ce journal quelque chose qui va commander ma vie. La nuit de mon anniversaire un homme assez vieux m'avait dragué, je l'ai frappé longtemps. Parce qu'il était vieux et pour d'autres raisons qui ne sont pas claires. Et puis il a commencé à me parler. Peu importe pourquoi. Ce qu'il m'a révélé je l'ai cru tout de suite. C'est pour moi un grand mystère car il m'a raconté des choses que l'on ne peut imaginer. Il s'appelle Éric. Je me demande si je ne l'avais pas déjà vu. Éric m'a raconté l'horreur. Depuis que je l'ai rencontré, j'ai beaucoup lu sur ce qu'il m'a dit. Pas spécialement pour être sûr. J'ai vu aussi des films. Éric a été déporté dans un camp de concentration pendant la Seconde Guerre Mondiale. Aujourd'hui je ne comprends pas vraiment pourquoi c'est cette nuit-là que ces événements dont j'avais entendu vaguement parler m'ont bouleversé. J'ai dû vivre sans ouvrir les yeux. Maintenant je ne peux plus. Je me dis que je devais avoir peur de les ouvrir. C'est pour ça que je riais souvent. Il faut continuer à rire. J'ai appris ce que les hommes ont fait. Je voudrais m'en empêcher mais cela change tout pour moi. J'ai découvert que le monde où je suis est un monde effrayant. L'injustice que l'on y voit est déjà dégueulasse. Mais ça encore, on peut toujours se révolter. Faire quelque chose. Mais comment vivre après ce que les hommes ont fait ? Je crois qu'il est impossible de se dire que ce n'est qu'une page d'Histoire. Moi je ne peux pas. J'ai décidé de mourir jeune à l'heure que je choisirai. C'est la seule réponse que j'ai trouvée. Le seul moyen de se venger de tout. J'ai toujours fait les choses contre la vie. J'ai tout arraché quand on ne me donnait rien. À commencer par chez moi. Je voudrais que ma mort que je décide aujourd'hui soit la dernière et la plus belle partie d'une œuvre. Je ne sais pas si je réussirai. Je crois que oui. Évidemment ce n'est pas pour tout de suite. En attendant je vais bien m'amuser. Il y a des choses que j'ignore que j'aimerais comprendre. Je crois que je ne sais rien. Des choses qui, elles, semblent me connaître. Et puis tant qu'il me restera de la vie il va falloir la corriger. Il faudra installer le désordre de la justice et de la liberté. Je veux bien espérer. © »

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L'œil gauche de Vladimir

Barbe Bleue

H

L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"L'œil gauche de Vladimir" 1991

 
résumé : une nuit de Paris, noire, sans électricité, un homme et une femme sous les toits, un moine à la recherche d'un livre, un assassin, et Paris comme une femme veillant sur ses enfants.

(extrait) « Au début, ils ne s'en étaient pas rendu compte. Ils étaient trop invincibles. Trop à leurs paroles, à leurs yeux dans lesquels ils se plantaient sans même s'apercevoir que la flamme du briquet devenait inutile. Cependant ils continuaient à l'allumer. Comme s'ils ne pouvaient s'éclairer que comme ça. Comme si la nuit avait triomphé définitivement, comme s'ils avaient gagné. Eclatées les chaînes qui les reliaient à la terre ! Terminé de chercher à tâtons, de ne toucher que du doigt, d'être à ce point petit ! Multipliés les cieux où ils pourraient enfin voler sans se faire mal ! C'est en même temps qu'ils tournèrent leur regard vers la rue, puis à nouveau vers eux. Comme au commencement de leur rencontre, c'est le silence qui les prit. En un instant, ils étaient redevenus impuissants. "C'est rien pourtant, seulement un jour de plus." Anna n'y croyait pas. Bien sûr, ils s'étaient juré de refaire le monde, de le changer par la seule force de leur amour. Ils n'avaient pas rêvé. Pas une seconde, ils ne doutèrent. C'était le monde qui mentait. Maintenant, ils étaient si près l'un de l'autre qu'ils voyaient tout pareil. Le jour qui s'infiltrait, c'était le monde qui essayait de leur reprendre ce qu'ils avaient trouvé. Ils se décidèrent vite. Elle s'empara de l'ange comme une preuve irréfutable de leur unique lien. Il en sculpterait d'autres, il n'était plus aveugle. Ils n'auraient pas supporté un doute, une question, une seule tentative pour composer avec la vie. Ils ne pensèrent même pas à chercher un commissariat pour raconter l'agression dont ils avaient été victimes. Anna voulait déposer l'ange à l'église de Saint-Germain-des-Prés. Ils sortirent dans le froid. Ferdinand et Anna étaient désespérés. Mais qu'était-ce l'espoir, le bonheur ? De vieilles questions d'hier. © »

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L'œil gauche de Vladimir

Barbe Bleue

H

L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"Barbe Bleue" 1993

 
résumé : Deux ans de la vie d'Alexandre de Beaumanoir au collège Barbe Bleue, loin de Paris adoré, Alexandre le solitaire, différent, qui fera le chemin pour découvrir les mystères du château Barbe Bleue, de vie et de mort, jusqu'à trouver l'amitié, et la liberté toujours à recommencer.

(extrait) « "Mes chers amis", les yeux se tournèrent vers le chanoine, sa voix blanche, "j'ai voulu que ce dernier jour du collège soit heureux. La Vierge, notre mère, nous aura tant donné ! il ne manquerait plus que nous soyons ingrats ! Ma conviction profonde demeure qu'Elle ne nous abandonnera pas. Comment vous expliquer ? Le Christ nous aura appris à nous méfier des choses de ce monde. Le collège est victime des choses de ce monde, ce n'est rien. Nous préparons le royaume de Dieu. Bien sûr il commence ici-bas, je n'aurai eu de cesse de vous le répéter, je vous conjure encore de bannir l'indifférence de vos regards, ayez les yeux ouverts ! Alors vous verrez bien qu'il n'est pas question de renoncer. Tant que nous sommes sur la terre nous n'aurons pas terminé. Priez ! Nous ne sommes pas les seuls à prier, tendez la main ! Il serait bien présomptueux de vouloir tout expliquer, je voudrais vous exhorter à ne rien oublier des jours passés à Barbe Bleue, rappelez-vous cette liberté donnée par Dieu, vous n'imaginez pas combien nous sommes libres ! comme nous aurions tort de nous apitoyer sur notre propre sort ! restez libres ! j'ai confiance en la Providence, elle a toujours pris soin de Barbe Bleue, la Providence c'est le regard de Dieu, son regard miséricordieux. L'abbé Servajean, le fondateur de ce collège, avait raison : l'âme n'aura jamais fini de gagner sa liberté ! Ceci est une épreuve, nous ne cessons d'être éprouvés et je m'en réjouis ! Oui, croyez-le, je quitterai Barbe Bleue joyeux. Ayez la foi qui animait notre cher professeur Lucien Zot, ne cherchons pas le salut dans les choses de ce monde, le Ciel a tant fait de miracles, il en refera d'autres !" Alexandre parcourait le visage impassible de sœur Monique, bien incapable de savoir si elle acquiesçait aux propos de son vieil ami, elle aussi regardait des absents, souvenir de miracles qui n'avaient pas eu lieu, son port de tête majestueux semblait dire que le seul miracle résidait dans sa présence à Barbe Bleue ce jour-là, il n'était pas sûr non plus que le chanoine acquiesçait à ses propres paroles, si souvent il l'avait entendu ainsi pérorer, pas plus tard que ce matin, si souvent il l'avait vu fermer les yeux après s'être tu, on se moquait de cette douleur trop éloquente sur son visage, Alexandre n'y avait jamais vu un jeu, tout au plus une emphase qui suppliait qu'on le croie, chez Laberge le désespoir côtoyait toujours de près l'expression de la foi, c'était lui qui l'avait attiré derrière la porte de la bibliothèque, sans une explication, peut-être en espérant n'être pas entendu, comme s'il pressentait la fin sans vouloir s'y résoudre, Alexandre se souvenait de sa visite à l'hôpital Saint-Louis, la mine défaite lorsqu'il était entré, et au moment de prendre congé l'insistance à faire comme s'il ne s'était rien passé, c'était la même chose aujourd'hui, Laberge se forçait à nier une destruction dont il était en partie responsable... © »

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La solitude du mal

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"H" 1994

 
résumé : Après la mort de H à trente-cinq ans. Tout commence : "qui sait ? peut-être même qu'un jour la mort ne nous fera plus peur".

(extrait) « (lettre de JM à H, avril 1991) bon anniversaire mon chéri, quand je pense à tous les anniversaires qui ont précédé, à ceux qui viendront, je me dis qu'il n'est pas né le jour ou celui qui nous séparera. Je ne m'habituerai jamais à cette chance terrible que nous avons. La vie a eu beau faire, nous on est toujours là, je t'aime tant. JM © »

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L'acharnement de soi-même

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"L'acharnement de soi-même" 1995

 
résumé : une parenthèse dans la vie de Hugo, l'hôtel du Palais dans une ville qui ressemble à Amsterdam, la mer. Le cercle des amis de Hugo au Palais dont il est la lumière alors que lui-même essaie de survivre à la mort de Vincent. Cette ville où la chanteuse Bill Feria dit-on s'est suicidée dans la tour qui porte son nom désormais.

(extrait) « On croyait à l'esprit. On baisait n'importe où, dans la vigilance de l'esprit. La vie ! J'aurais compté mes sous, j'en aurais gagnés toujours plus, j'aurais donné des coups de pied dans les carcasses qui m'empêchaient de marcher, jusqu'à ne plus les voir. Je ne t'aurais jamais quitté, t'aurais gardé pour moi, jusqu'à ne plus savoir quoi faire de toi. Je me serais interdit toute pensée, n'aurais jamais choisi, je m'en serais remis aux choix d'il y a longtemps, je serais mort ainsi, parce que c'était la vie. L'animal cherchait sa proie, là en plein jour, il buvait l'eau du fleuve, il dévorait à tout venant. Il se mit à pleurer. A son tour il se fit dévorer. Gisant, couvert de mouches, il entendait encore battre son cœur. Il décida alors de glisser dans la nuit, il s'y engouffra auréolé de toutes ses blessures. Tout changea. Les mouches une à une s'en allèrent voir ailleurs, elles ne supportaient plus l'odeur, ses yeux cherchèrent et cherchèrent, il se surprit à voir mieux qu'en plein jour. Finalement je t'ai laissé aller, j'ai gardé dans ma main des traces de baisers, sur mes lèvres des mots, un jour je me suis décidé à choisir, jamais comme ils voulaient, de doute en doute on s'est gardés : ce fut la nuit. On avait tant souffert, ton agonie la mienne, je ne voyais plus rien, parfois je t'entendais sourire, je décidai de rester. A l'animal tu pris sa chair défaite. Il me donna ses yeux. La nuit s'illumina à force de noirceur, le jour devint un souvenir de mort. Aujourd'hui on ne sait plus. Parfois je sens ta langue qui lèche la plaie qui se réveille. Pour toi je m'en vais rôder dans les terres d'avant, j'y sème le désordre, je fais tout à l'envers et lorsqu'on se retrouve tu me donnes raison. J'attends le jour où s'allumera la nuit et où les animaux retrouveront leur mère. Ils pueront des carnages anciens, ruisselleront d'écume dans le creux de leurs yeux. Ce sera la fin. A moins que toi et moi on invente autre chose. © »

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"La solitude du Mal" 1997

 
résumé : des meurtres sans explication, œil crevé et sable sur le sol, qui ressemblent au roman noir qu'écrit Léo Tirictiscu au moment où il rencontre Coutil, rencontre qui fera s'envoler la frontière entre le livre et sa vie.

(extrait) « - Tu crois à ces choses-là ?
- Quelles choses ?
- Je ne sais pas, cette prémonition, les histoires de curés.
- Tes parents sont catholiques ? lui demanda Léo.
- S'ils ne le sont pas, alors personne !
- Les miens aussi, je n'en ai pas gardé grand-chose, je me souviens d'un prêtre qui m'avait parlé de l'enfer.
- Ah ! oui ! l'enfer ! ça doit laisser des traces, dit Coutil.
- Tu parles pour toi ?
- Non, j'imagine. Ils n'ont pas inventé l'enfer. Dis-moi, cette rencontre tu y crois ?
- David en avait fait un tableau. Il ne s'est pas contenté d'en parler.
- Et c'est plus important le tableau ?
- Sans doute. David était un artiste, un vrai, il en est mort.
- C'est des clichés tout ça !
- Tu n'aimes pas les artistes ?
- Si, s'il faut absolument aimer j'aime les artistes, j'ai lu des livres que je n'ai pas oubliés, que je ne pourrais jamais écrire.
- Qu'est-ce-que tu en sais ?
- Je ne suis pas comme toi Léo. Je n'ai jamais eu de David mais je n'aurais pas réagi comme toi après sa mort.
- Je n'ai rien voulu prouver. Il y a des choses plus fortes que nous.
- C'est peut-être moi cette rencontre.
Coutil avait regardé Léo bien en face. Il avait à cet instant le regard que Léo lui avait connu au parc Montsouris, et de la provocation dans ce regard inaccessible. L'alcool avait réchauffé le sang de Léo. Il saisit la balle au bond. "J'y ai déjà pensé, qu'est-ce que tu crois !
- Ah ! bon ! (Coutil parut étonné) On ne se ressemble pas pourtant.
- Et alors ? C'est toi même qui disais, les contraires, ils vous ressemblent un peu puisqu'on a besoin d'eux.
- Je n'ai pas dit que l'on était contraire, reprit Coutil.
- On ne se connaît pas.
- S'il y a bien une rencontre, celle de David, se connaître doit être inutile, il doit y avoir autre chose.
- Quoi ?
- Je n'en sais rien, c'est toi Léo qui as parlé d'une rencontre.
- Tu t'en sors toujours bien ! Tu veux faire quoi plus tard ?
- Autre question bizarre ! Cela ne suffit pas d'être Coutil ?
- Je sais que tu n'es pas orgueilleux.
- De quoi être orgueilleux ?
- Justement, être Coutil cela ne veut rien dire. Enfin si, mais on en revient toujours là : et après ? Il y a toujours un après. © »

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La solitude du mal

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"Amalia" 1998

 
résumé : Amalia Sané photographe, qui vit avec Tadzio le petit singe de Lisbonne, Amalia dont personne ne veut des photos et qui recherche pour se venger celui qui un jour lui a donné sa caméra (VL), Julien Rivière, le seul qui la comprend, le plus beau.

(extrait) « Ils traversent le pont. Julien porte son sac. Elle sent déjà la mer. Elle la sentirait de plus loin encore. Elle se trouve bête. Elle revoit la mer sauvage de Caparica, elle entend Maria qui tousse. Il fait soleil. C'est une douceur meurtrière. Elle croit voir monsieur Victor partout, elle a peur. Elle envie le temps où elle arrivait seule avec son VL. Quand on est arrivé au bout de la route qui longe le canal, tout au bout, et qu'on a vu la mer, il s'est retourné vers moi. Je l'ai vu là devant moi, j'ai tout vu. Il a dit : "Ne t'en fais pas, tu ne t'es pas trompée". Et il m'a embrassée. Il m'a embrassée longtemps. Je l'ai embrassé aussi. Comme une folle. J'ai perdu connaissance. Pendant le temps qu'a duré cette inconscience je me suis revue dans le zoo de Lisbonne devant mon Lucifer.
C'est son sexe dans ma bouche. Je ne vois plus Julien. Je le vois quand même. Ses yeux me regardaient quand j'ai rouvert les miens. Je ne l'ai pas laissé parler. Je ne veux pas que ma bouche abandonne son sexe. Avec la langue qui lèche je rejoins ses yeux. Leur inquiétude penchée vers moi. Il faut le rassurer. Lui dire qu'elle n'a pas mal. Qu'elle n'a jamais eu mal. Partout je lèche, je m'arrête la bouche immobile pleine. Dès que j'ai vu son visage je l'ai tiré vers moi. Mes mains sur lui partout aussi. Mes doigts derrière qui le remplissent. Je l'entends murmurer mon prénom. Il dit : Amalia. C'est elle, Amalia. C'est elle Amalia qui l'a tellement cherché. Elle a un goût salé dans sa bouche. Les doigts que je retire de ses fesses aussi sentent le sel. J'ai rejoint les vagues les plus dangereuses de Caparica. Je ne les regarde plus je suis dedans. Elles vont me remplir. La mer, je suis prête. © »

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La solitude du mal

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"L'Insecte" 1999
Éditions du Seuil - collection Solo, dirigée par René de Ceccatty
 


résumé : monologue du virus du sida : On a beaucoup parlé de moi et pas d'eux

(extrait) « La Dernière Heure

je les entends qui reviennent les musiques espagnoles qui réchauffent
il y a le froid, de plus en plus le froid mais aussi la chaleur très loin la chaleur avec les musiques espagnoles qui font peur aux fourmis où sont les fourmis presque plus de fourmis tout d'un coup
autrefois, autrefois j'étais malade tu te souviens quelle maladie c'était, j'ai oublié, c'est comme si je revenais moi aussi
toi tu ne peux pas avoir oublié la maladie je sais que tu l'aimais quand même, tu aimais la maladie inhumaine, tu la trouvais humaine
les musiques espagnoles c'est pour toi aussi, pour l'échange
quand est-ce qu'on a décidé d'échanger, je n'ai plus de souvenirs
ou alors on a pas décidé, maintenant je décide, maintenant tu m'as rendu libre, on disait comme ça non, libre, c'est une longue histoire je m'en aperçois que maintenant
c'est qui maman ? je m'entends encore dire où est maman mais j'ai oublié maman, ce doit être une voix j'entends encore la voix loin
mon chéri mon chéri elle dit la voix, je ne comprends plus
je ne comprends pas et je sais pourquoi, je ne suis plus malade, plus du tout malade, tiens regarde je bouge je repars à zéro, je serai là
c'est toi qui vas reprendre la maladie inhumaine, tu voulais, mais tu verras c'est bien pire que tu crois, il va te falloir beaucoup de musiques espagnoles, beaucoup, pour éviter les fourmis, pour garder la maladie, pour que je puisse être là
je sens que je reviens guéri, il a suffi de l'échange entre toi et moi, ce que j'ai décidé avec toi sans te le dire
je te laisserai ce qui brille, ça ne sera pas de trop, moi je reste avec le mal, on y est bien, toi tu sais, tu n'es pas comme les fourmis je pourrai te faire mal encore
elles doivent aller vers toi les fourmis, je n'en vois plus aucune, méfie-toi elles t'en voudront encore plus qu'avant elles ne connaissent pas la pitié
reste avec la maladie inhumaine les fourmis ne pourront rien contre toi elles ont peur de ce qui brille ce sont de grandes froussardes les fourmis c'est incroyable qu'elles fassent autant peur des froussardes pareilles
écoute les musiques espagnoles comme elles sont lentes maintenant, un fleuve lent et sans fin, de plus en plus profond, du sang je crois
mon chéri mon chéri, il y a plusieurs voix maintenant, il y a une voix qui s'éloigne, elle vient vers toi, lorsqu'elle viendra vers toi écoute, c'est de la lumière, je crois qu'il est fragile, je ne peux rien d'autre pour toi, que ce qui est fragile
moi tu ne me reconnaîtras pas tout de suite j'ai déjà beaucoup changé
encore un peu, encore un instant
il fait froid à nouveau, je crois que je n'ai plus que toi, j'en suis sûr maintenant, plus que toi
je lis maintenant ce que tu n'as pas encore écrit, tu vas l'écrire hein, c'est pas gagné d'avance, même la voix fragile, surtout pas la voix fragile, je le connais à peine mais je suis près de lui
tu l'as voulue la maladie inhumaine, c'est l'échange rappelle-toi
tout est calme silencieux, les musiques espagnoles sont reparties
et si finalement... mais non, c'est pas maintenant que je suis guéri que je vais renoncer, c'est à cause du mal tu comprends, mais je ne pourrai pas t'expliquer je n'ai plus de mots il n'y a plus de mots ils s'en vont aussi, l'échange c'est les mots qui s'en vont contre ma guérison
pour moi le dernier mot...
on se dira que je l'ai échappé belle mais on ne pourra pas s'en défaire, toujours il restera une trace, c'est l'échange, les mots qui s'en vont contre une trace
ça y est, écoute : aucun mot
© »

article dans "Le Monde": https://archive.is/VyGL

Amazon: https://www.amazon.com/Linsecte-French-Edition-Jean-Michel-Iribarren/dp/2020407205

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"Yaguine" 2000

 
résumé : dialogue entre JM et Yaguine, l'enfant malien mort caché dans la soute de l'avion qui devait le porter jusqu'à la France.

(extrait) « Tu ne prétends plus refaire le monde. Tu ne saurais pas. Autrefois tu y pensais à des choses comme refaire le monde mais tu voulais surtout que le monde te donne ta place. Finalement l'imperfection du monde t'a plu. Tu voulais des tyrans pour s'en débarrasser, s'embrasser à la mort du tyran comme sur la place Venceslas à Prague. Tu as eu tes tyrans et tu t'en es débarrassé, tu as pleuré de joie. Tu voulais la maladie pour pouvoir résister. Tu as eu la maladie, avec tes mots tu as résisté. Tu voulais la mort pour savoir. Tu l'as eue, tu as su : rien n'empêche d'aimer, ni la mort. Tu voulais des défaites, superbes, tu voulais te construire de défaites. Les défaites tu les a eues et plus que tu n'aurais jamais imaginé. Tu voulais être beau, que ta beauté tu en sois le seul artisan, comme une conquête. Tu l'as eue, la beauté. Tu voulais des garçons, des garçons pas des hommes, des anges, des diables, pervers, innocents, comme dans les livres, dans les romans de pacotille. Les garçons aussi. Tu voulais l'amour. Nous y voilà. Tu as toujours su ce que c'était, l'amour. Toujours. Tu ne t'es jamais menti là-dessus. Toujours su que l'amour c'était presque nulle part alors qu'on te disait que c'était partout. Tu as toujours su que c'était tragique et pas heureux, à refaire et pas signé, déterminant et pas secondaire. Pour l'amour tu étais prêt à tout, pas à n'importe quoi. Tu savais de l'amour que rien ne lui résiste, ni la mort etc. Tu l'as su vraiment très jeune. Tu n'as jamais connu personne qui connaisse l'amour comme toi tu le connais. Personne. Et tu sais aussi que disant cela personne ne te croira, ce qui après tout est normal puisque tu es bien le seul de ton espèce. L'amour, tu l'as eu. Tu l'as eu avec le reste, avec les défaites, la maladie, la mort etc. Tu l'as toujours et au bout du compte comme disait Hervé, c'est tout ce que tu as, ce que tu as jamais eu, tout ce qu'il reste. Ça n'a jamais suffi. Si cela suffisait, l'amour ne serait plus l'amour. Il te ramène au point de départ, l'amour. Et dégoûte-toi bien d'employer autant ce mot d'amour qui te dégoûte tant de ce qu'on en a fait. L'amour te ramène à toi. Sans lui tu te serais perdu de vue depuis longtemps, ça se voit tous les jours. Il te ramène à toi et tout est à recommencer. C'est d'aimer qui m'a fait regarder vers toi, Yaguine. Qui m'a gardé tel quel : perdu, enfant, guerrier.
Toujours la guerre. Contre elle, l'ennemie.
Si c'était ça aussi qui m'avait mené à Yaguine ? L'ennemi commun : la vie. © »

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"Undead" 2002

 
résumé : autobiographie.

(extrait) « j'ai marché toute la journée, je sais plus où, dans ces grandes avenues où je sentais le souffle de ma vie, où ma vie était déjà là sans moi qui m'attendait, y avait en ce temps dans Paris une partie de moi qui me courait après, qui désarmait pas... vers le soir j'ai pris le chemin du retour, je suis monté dans un bus qui me ramènerait chez moi, rien avait changé, simplement j'avais arrêté de travailler le temps d'une journée, j'étais assis au fond du bus, à un moment j'ai regardé en face de moi : il devait avoir mon âge ou un peu moins, il était blond, il était magnifique de beauté, je lui ai jamais parlé, il sait pas qui je suis, je lui dois tout... c'est en le voyant lui, ce garçon blond qui avait je crois un manteau vert, qu'en une seconde j'ai basculé : vers moi, pour ce que j'ai toujours appelé l'acceptation, pas la résignation, l'acceptation des garçons, que ce serait ça et pas autre chose, que depuis toujours j'étais homosexuel, sale mot mais puisque c'est le mot : c'est ce que j'étais, en une seconde ça m'a paru magnifique de l'être, et stupéfiant d'avoir tant attendu, j'allais le dire à la terre entière, la terre entière allait le savoir, je voyais celui que j'étais déguerpir sans demander son reste, il reviendrait plus jamais, je le plantais là l'inaudible, il me laissait aucun regret, il me dégoûtait presque et avec lui tous ceux qui l'avaient forcé à rester inaudible... en même temps j'avais envie de leur dire merci à ceux-là, tous, les humiliateurs, les empêcheurs, je leur devrai toujours tout aux humiliateurs et aux empêcheurs, je leur devrai toujours cette seconde dans le bus, sans eux y aurait jamais eu cette seconde, ce moment où tout a basculé, où demain s'est écrit d'un seul coup, tout ce qui allait venir, j'en voudrai jamais au malheur comme les autres lui en veulent, le malheur m'a tout donné de jamais l'avoir accepté, les empêcheurs de jamais leur avoir cédé, cette seconde restera pour toujours indescriptible, y aura jamais de mots pour dire ce que c'est de devenir soi-même, ç'allait se voir physiquement le changement dû à cette seconde dans le bus, ç'allait se voir pour tout, je viens de cette seconde qui elle-même vient de si loin que je saurai jamais d'où : de l'enfance peut-être, de l'oppression que c'est l'enfance, que ce sera toujours et quelle que soit l'enfance, l'oppression que c'est la famille, que ce sera toujours et quelle que soit la famille, elle venait la seconde du garçon à la barque qui me souriait près du canal et que j'avais laissé repartir, de cet autre croisé devant un marchand de journaux, elle venait peut-être de Lucien quand il avait dit l'important c'est d'aimer, elle venait de la solitude, ces nuits passées seul avec Kali dans ses pattes et son flanc, de tous les regards assassins que j'avais dû affronter, elle venait du meurtre ma seconde, de tous ceux qui sont morts parce qu'ils ont jamais eu comme moi une seconde dans un bus une fin d'après-midi : elle venait de tous les autres, de lui le garçon blond qui saura jamais ce que je lui dois, ceux d'avant moi qui comme moi un jour s'étaient pas résignés, ceux d'après moi qui comme moi se résigneraient pas que le monde soit ce qu'il est, impitoyable et sans aucune raison, assassin et sans aucune raison, et nos bourreaux, un grand merci à nos bourreaux d'être ce qu'ils sont, on leur doit à nos bourreaux de pas leur ressembler, de pas aimer la vie qu'ils servent avec tant de zèle et sans aucune raison, qu'ils continueront de servir avec autant de zèle qu'avant et sans aucune autre raison que celle de faire des victimes, toujours davantage de victimes, elle venait ma seconde de Vincent et elle lui reviendrait, tout pouvait commencer. © »

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L'insecte

Yaguine

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Wild Samuel

Géant

Âmes dehors (trilogie)

Matteo le magnifique




"Wild Samuel" 2013

 
résumé : Wild et Mathieu se connaissent à l'âge de onze ans, leur lien est si fort qu'ils peuvent même se retrouver dans leurs rêves. Mathieu meurt à vingt ans. Wild ne pourra se résigner à être séparé de lui et le recherchera même malgré lui, accompagné par Ankhchen, la femme mystérieuse et si proche à la fois qu'il retrouve à Berlin.

(extrait) « C'était leur secret, les rêves. Ils pensaient que le dire les aurait détruits. Que le mystère n'aurait plus pu se prolonger par d'autres mystères. Un mystère qui ne les avait jamais vraiment étonnés pourtant. Ils avaient les deux vies, celle que les autres connaissaient un peu, les amis d'Henri IV, et puis l'autre. Au début ils se retrouvaient tous les soirs, ils avaient comme ça connu le kiosque sur la promenade de la mer, et puis une autre plage aussi, avec la mer en contrebas avec ses énormes vagues noires. D'autres plages encore où la mer menaçait mais ne les engloutissait jamais. Ils avaient connu ce qu'ils nommaient "l'Endroit", le lieu le plus mystérieux de tous. Et aussi tous ces endroits de Paris qui n'existaient pas en vrai dans Paris mais qui faisaient partie de leur Paris des rêves, un salon de coiffure où ils étaient coiffés très à la mode, dans une galerie marchande souterraine. Elle dit, j'ai rêvé de Mathieu la nuit dernière. Et toi, tu rêves parfois de lui ? Parfois, il dit mais c'est faux. Jamais plus depuis le jeudi 18 août 1994. Derrière elle il y a cette photo de Mathieu à sept ans, Mathieu, le regard grave, ils ne se connaissaient pas encore, Mathieu disait, tu imagines ce temps qu'on a perdu. Et aujourd'hui ? Comment ce serait aujourd'hui si ? Il y pense parfois mais il ne sait que répondre, sans doute ils auraient voyagé, il se dit ça, les voyages. Et puis après ils avaient décidé d'espacer un peu les rêves, pour préserver le désir. C'était Mathieu surtout qui proposait, Wild était presque toujours d'accord. Sur la fin, quand Wild avait commencé à connaître des filles un peu sérieusement, cela avait un peu compliqué les choses mais pas tant que ça. Mathieu disait, bon ce soir, si tu es avec elle, on se retrouve demain. Mais en général le problème ne se posait pas. Les rêves passaient avant, pour Wild aussi. Ils avaient commencé à voyager, des villes, des pays dont ils ne savaient pas s'ils étaient comme ils les rêvaient ou pas. Et puis des pays inconnus, des choses fabuleuses et inquiétantes qu'ils avaient connues ensemble, comme le jardin des dinosaures volants. Il ne propose pas à Léa de venir le voir une nuit au studio, il dit qu'ils iront dîner un soir rien que tous les deux, dans les Halles, elle sourit un peu tristement, puis elle sourit vraiment. Il la prend dans ses bras. Un jour, c'était peut-être deux ans après le début des rêves, il était allé voir Paul Rivière dans son cabinet, c'est Paul qui le lui avait proposé, pour une visite de routine des yeux. C'est là que Paul avait fait le diagnostic de l'œil gauche : Wild, avait dit Paul, n'aurait pas dû voir de l'œil gauche, aveugle de cet œil, il avait dit, une histoire de fond d'œil. Le fond de l'œil gauche révélait un nerf optique découpé et une grande partie de la rétine était composée de couleurs jamais observées dans un œil. Paul ne comprenait pas que Wild continue à voir de cet œil. Il l'avait envoyé chez un collègue renommé avenue Georges V qui avait fait le même diagnostic. Mais Wild voyait parfaitement de l'œil gauche. Quelques années après la mort de Mathieu, Paul lui avait dit que son œil gauche était redevenu tout à fait normal et qu'il n'avait jamais vu ça de sa vie. Il explique à Léa le procédé des sous-titres dans les émissions de Radio 89 mais il voit bien qu'elle ne le suit pas très bien et que cela ne la passionne pas. Ce qui plaisait à Léa, c'était de parler des choses de la vie. Parfois ils sortaient tous les trois dans Paris, Léa, Mathieu et Wild. Ils parlaient de livres, Léa lisait beaucoup, un jour ils avaient parlé du Grand Meaulnes, dans ce café près du théâtre du Palais-Royal. Mathieu ne voulait pas que Wild l'appelle Mat, parce que les autres l'appelaient Mat. Mathieu l'appelait Wild, avec le i prononcé à l'anglaise, comme il fallait. Ces connards qui t'appellent Vild ! Parfois il aimait l'appeler Sauvage quand il parlait de lui à d'autres, il disait, non, maintenant je ne peux pas, j'ai rendez-vous avec Sauvage. Si tu avais vu sa tête quand j'ai dit Sauvage ! © »

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L'insecte

Yaguine

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Wild Samuel

Géant

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"Géant" 2016

 
résumé : une heure dans la vie de trois personnages, la même heure. Vincent l'écrivain, dans sa chambre à Paris. Léa dans sa chambre d'hôpital où elle va mourir. Et Ben, le jeune cardinal noir au conclave de Rome qui élira le prochain pape.

(extrait) « (Ben) Des jours que nous sommes ici reclus, il a fallu finalement choisir les deux cardinaux arrivés en tête, Dos Santos était derrière moi, à quelques voix, et d'Angelo loin devant. Visconti a reçu une voix, peut-être la sienne, ils se méfient de lui. Moi, j'ai voté pour Dos Santos. D'Angelo est pâle comme un suaire, j'espère qu'il ne va pas nous faire un malaise, il faudrait tout recommencer. Le comédien s'appelle Claudio, il tourne à Hollywood mais Samuel dit qu'il ne sera jamais un grand comédien parce qu'il est riche. C'est la théorie de Samuel : on ne peut pas tout avoir. Qu'est-ce que j'ai, à part Vous ? L'argent ne m'intéresse pas, mais j'ai sans doute tort. L'argent c'est le nerf de la guerre, on ne peut pas vivre comme si la vie n'était pas la vie. Mama essayait de faire des économies sur son salaire d'employée des postes mais elle n'y arrivait jamais. Sur des étiquettes de sacs de patates, elle faisait de la retape dans tous les coins de Tombouctou, pour ses chats de poussière, elle vantait "l'établissement" comme elle l'appelait, et l'établissement c'était la case où s'accumulaient les chats de poussière qu'elle appelait "macédoine de l'Afrique". Vincent ne m'a pas passé les feuilles sur mama, je ne le lui ai pas demandé et il ne l'a pas fait, la vie de mama comme un roman, comme le sont toutes nos vies, le roman de Benjamin Sané, on ne sait jamais ce qui est vrai dans sa vie, si je suis élu pape je ne saurai pas non plus si c'est vrai, la vérité restera quelque part, ailleurs, connue de Vous seul. Qu'en faites-Vous de notre vérité ? Un autre roman ? Vous aussi Vous faites un beau roman, le seul roman possible, celui que Vincent échouera à écrire, nous sommes voués à l'échec et on s'en fout, on est tous des perdants, certains plus malheureux que d'autres, je veux perdre, je ne veux pas gagner, si je gagne je suis perdu. Sur la croix, si Vous y étiez, Vous avez choisi de perdre, la résurrection n'y a rien changé, c'était fait, Vous êtes le plus grand perdant de tous, et nous Vous y aidons bien. Les vieilles biques ressemblent à des petits écoliers studieux, le nez sur leur feuille. Visconti dessine Danilo sur sa feuille mais je fais semblant de ne pas le voir ; Visconti est un artiste raté, les plus beaux. © »

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L'insecte

Yaguine

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Wild Samuel

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Âmes dehors (trilogie)

Matteo le magnifique




trilogie « Âmes dehors »

 

premier roman : "Décal'âge" 2018

résumé : Velma est veuve depuis un an. Alain, l'homme de sa vie, est mort. Elle décide de s'en aller à la recherche de son fils parti il y a dix ans aux Etats-Unis et dont elle n'a plus de nouvelles. Ce roman raconte la quête de Velma là-bas, loin de Paris.

(extrait) « L'été finissait, c'était les derniers jours de l'été qu'ils partageaient tous les deux ici avec la mer de New York, ils savaient qu'ils avaient le temps maintenant, elle avait le temps de revoir Frédéric, si elle le revoyait, pour rien au monde elle n'aurait voulu le revoir maintenant, là, avec Matthew, le soir dans sa chambre elle l'a encore écouté, c'était pareil et un peu différent, tu vas lui dire qu'on s'est retrouvés ? Oui, on se dit tout, ou à peu près, tu le connais, il déteste le mensonge. Oui, pas comme toi, elle dit. Pas comme moi, heureusement on est différents. Je n'arrive pas à croire qu'on parle de ça, de lui, comme ça, comme si c'était naturel, tu ne veux pas savoir comment j'ai su, toi et lui, comment j'ai compris ? Tu me diras plus tard, tu es une sacrée femme, c'est pour ça que je suis parti, c'était fou, oui tu me diras, on se dira tout, je ne mentirai plus, je ferai comme lui, des fois tu sais je n'en peux plus de lui, il me presse comme un citron, juste d'être ce qu'il est, alors des fois je m'en vais, il sait que ce n'est pas pour longtemps, on se connaît depuis dix ans, on doit avoir le même âge. Arrête. Pardon. Il fallait qu'il arrête, c'était trop vite, et trop beau, comment il parlait de lui, trop inespéré. Ils se sont allongés sur des espèces de planches faites pour ça, pour s'allonger, avec une inclination pour relever le dos, au milieu de garçons et de filles, les yeux vers le ciel qui n'était pas aussi bleu que la première fois qu'elle était venue ici. C'est lui alors, quand tu m'avais dit que tu étais allé avec un seul garçon ? C'est lui, mais ce n'est pas non plus vraiment ce que tu crois. Je crois quoi ? On est pas un couple. Vous êtes quoi ? Mieux. Il la regardait souvent. Comme avant, et plus tout à fait comme avant, sûrement à cause de Frédéric. Mais oui, comme avant aussi, et aujourd'hui ça lui semblait étrange, incestueux. Mais elle se laissait faire. Il n'avait pas changé. Il lui prenait la main. Il était doux. Il était toujours ce qu'elle voulait, et ne voulait pas. Tout était Alain. Tout serait toujours Alain, aujourd'hui plus que jamais et elle savait que même ça, il devait le comprendre, à sa façon mais il le comprenait, déjà là-bas, dans la 105, il comprenait, c'est pour ça qu'ils se voyaient, qu'ils continuaient à se voir : il la comprenait. Tu as toujours le poème ? Qu'est-ce que tu crois ? Il a dit que c'était la seule chose qu'il avait trouvée pour que son absence ne soit pas une trahison. Ce jour-là, il est rentré avant elle, au Village, elle préférait qu'ils ne rentrent pas ensemble, elle est restée avec la mer un peu plus longtemps, il a pris le métro, il a retrouvé Frédéric, il ne l'a pas dit à Velma mais elle n'avait pas besoin de demander, elle savait, elle lui a dit qu'elle était à l'hôtel River, il a dit qu'il savait. Avant de se laisser ils se sont juste regardés, et il a dit, à demain. © »



deuxième roman : "Rollercoaster" 2021


résumé : suite de "Décal'âge" : New York, Frédéric, Velma (sa mère), Matthew. Matthew vit avec Frédéric depuis douze ans, il est aussi l'amoureux de la mère de Frédéric. Frédéric fait une émission de nuit à la radio : Streetwalk, sous le nom de Jimmy Prince. Et il y a ceux qui l'écoutent la nuit dont les chemins de certains vont finir par se rencontrer, et parmi eux, Diego, le jeune immigré qui rencontre madame Soledad, et aussi celui qui a écrit à Jimmy une lettre avec le mot 'rollercoaster'... jusqu'au virus qui désole NYC... mais la cité revit quand même...

(extrait) « (James) Aller et retour ce week end dans le sud. Dans la famille. Je ne sais plus depuis combien de temps je n'y étais pas allé. Et je le leur ai dit, que j'étais gay. Ils s'en doutaient. Tu étais toujours à part petit. Big deal. Oui j'étais à part mais tous les à part ne sont pas pédés. On en est resté là, ils ont même été plus affectueux que d'habitude, pas peu dire. Je ne sais pas pourquoi je l'ai dit, je ne l'avais pas prémédité. J'ai même parlé d'Andrew. Ils aimeraient le connaître mais ça, c'est une autre histoire, je n'ai pas envie de faire les traditionnelles présentations aux parents (adoptifs). Je l'ai dit à Andrew qui s'est étonné mais qui a dit, c'est bien, comme ça nos deux parents le savent. Big deal. Je les ai trouvés vieillis et pourtant ils ne sont pas si vieux. Le virus est passé par là. Je n'ai pas parlé des cours de théâtre, ça les aurait perturbés, plus que mon homosexualité je pense, ni des photos dans Vogue, tant qu'elles ne sont pas faites inutile d'en faire une montagne. On a parlé de Columbia, tout va bien de ce côté, les cours sur le campus vont bientôt reprendre, à l'automne je crois, quand l'Amérique entière sera vaccinée. Eux vont être vaccinés dans quelques semaines, ils ne jurent que par Biden, ils ont toujours voté démocrate dans la famille. Il faisait plutôt moins beau qu'à New York où c'est le printemps. Mon père a lu un livre de Dostoïevski. Il a trouvé ça un peu long mais ça m'a plutôt fait plaisir. Il a lu Crime et châtiment. Il ne sait pas qu'avant, dans le pays, je me faisais appeler Rodion parfois. Je les ai vus ensemble (resto) et aussi séparément. Mon père a fermé la boulangerie plus tôt pour rester avec moi. Il a reparlé du sujet et dit que j'aurais pu le leur dire avant, j'ai rien dit. Avec ma mère les traditionnelles courses, elle veut toujours m'acheter des vêtements, c'était plutôt tendre. Alors tu vas devenir journaliste ? Oh ça, j'ai dit. Tu ferais quoi sinon ? Oh ça. Elle a souri, elle m'aime, elle ne me comprend pas vraiment mais elle m'aime, et d'ailleurs qu'y aurait-il à comprendre, je n'ai jamais beaucoup parlé. Entre eux rien de nouveau, ce n'est pas la passion mais pas le désamour non plus. Le mariage c'est pas vraiment ma tasse de thé. Évidemment dans la rue j'ai rencontré un ancien de mon école, inévitable, c'est un petit bled et les enfants en bougent pas beaucoup, ils vont pas tous à New York comme moi. C'était Dallas, mon meilleur ami d'avant si on peut dire, il est marié et tout le bastringue, il est plutôt pas mal, beau mec, bien sain, il était content de me revoir, mais j'ai pas vu sa femme ni ses enfants, on a bu des bières, surtout lui, à lui aussi je lui ai dit que j'étais gay, il a dit, super ! mais qu'il le savait puisqu'on s'était embrassé (j'avais oublié), sacré Dallas, et il m'a demandé si j'avais un mec, j'ai dit non, j'avais pas envie d'entrer dans les détails. Ça fait toujours drôle de revenir dans son coin. On mesure le chemin parcouru mais on reste un peu de là quand même, un mec de l'Amérique profonde comme on dit, on se demande comment on a fait pour y rester aussi longtemps dans ce bled, mais c'est là qu'on a rêvé, là qu'on s'est dit : New York, et qu'on l'a fait, les gens d'ici on les regarde avec un sentiment mélangé, on se sent différent et pas si différent non plus, on les connaît, enfin bref, la vie, la putain de vie. Ils m'ont remboursé le billet, j'ai pas dit non, Ronald m'avait dit qu'il me le paierait s'ils ne me remboursaient pas mais j'étais sûr qu'ils me rembourseraient, ils sont comme ça, on ne peut pas les détester, et puis ce sont mes parents adoptifs, ils m'ont choisi, élevé, ils ont pas si mal fait au bout du compte. Je me suis promené seul aussi, j'en avais besoin, j'ai fait le point, je pensais à Jimmy et Matthew, je pensais à la fin de l'épidémie, si ça finit un jour, je pensais des tonnes comme toujours et je m'en foutais aussi, pas envie de faire un fromage d'une vie qui de toute façon te fait pas de cadeaux, je l'ai toujours su, j'avais qu'à regarder autour de moi pour ça, et je regardais, toujours j'ai beaucoup regardé, la vie me fascinait autant qu'elle me faisait chier. Mes parents m'ont fait faire (un ami à eux) un test (négatif) pour que je n'ai pas de problème au retour à l'aéroport. Quand je suis reparti j'étais un peu triste, je me suis dit que j'aurais pu leur parler plus, à chaque fois je me demande quand je les reverrai. Mais la tristesse n'a pas duré. © »





troisième roman : "Hotel Monroe" 2022-... à suivre


résumé : suite de "Rollercoaster" : New York - Frédéric, Matthew, Soledad, Diego et les autres emménagent tous dans l'hôtel Monroe de Manhattan que Soledad et Velma ont acheté... commence une nouvelle vie

(extrait) « Il y a huit mois, Velma et Soledad ne se connaissaient pas. Velma était la seule de la Jimmy Fraternity à ne pas la connaître, elle n'avait pas pu assister au fameux dîner pour fêter la fin de la pandémie, elle avait dû rester auprès de Ronald (finalement lui non plus ne connaissait pas Soledad) qui venait d'être opéré pour son pace-maker au cœur. Depuis Ronald se porte comme un charme et continue à voir souvent Velma. La rencontre fut arrangée par Frédéric, son fils, et Diego, l'ange gardien de Soledad. Mais vous les garçons ne serez pas là, c'est une rencontre de femmes, de mères, avait ordonné Soledad, ils avaient évidemment obtempéré. Dire que la rencontre s'était bien passée est au-dessous de la vérité. Elle eut lieu dans l'appartement de Soledad, pas au Plaza même s'il avait fini par rouvrir. J'adore les hôtels, avait dit Soledad, je sais que votre mari en possédait beaucoup, n'est-ce pas ? une chaîne d'hôtels qui portaient votre nom (Hotel-V), n'est-ce pas ? Mais vous savez tout ! Oui, Frédéric et Matthew parlent beaucoup de vous, les hôtels sont des mondes, j'aurais pu y vivre, dans un hôtel. Est-ce que l'idée avait commencé à germer là ? qui sait. Mais à cette époque ils ignoraient que l'hôtel Monroe de Manhattan qu'ils ne connaissaient d'ailleurs pas, était fermé depuis la pandémie, que le mari de Mrs Monroe, comme celui de Velma, était mort, pas d'un cancer mais du covid, et qu'aujourd'hui il était en vente. Bref elles avaient trop en commun, tous ces garçons plus jeunes qui étaient leurs amis, ou leurs fils, ou comme leurs fils, pour ne pas s'entendre. Et Velma avait eu l'impression de retrouver la mère qu'elle n'avait plus depuis longtemps. Elles avaient parlé de tout, même du travail de Velma à la radio de Frédéric, où elle s'occupait de la France et plus précisément des élections présidentielles qui approchaient. Mais la politique en fait les intéressait assez peu toutes les deux, elles préféraient les choses de la vie, comme d'ailleurs tous ceux qui faisaient partie du groupe préféraient parler des choses de la vie. Elle parlèrent même de Vicente, le fils de Soledad mort du sida, la blessure. Je connais un écrivain français qui a écrit un livre sur ça, un livre de révolte. Et Soledad avait dit que la révolte ne l'avait jamais quittée. Sur ça ? Oui sur ça, et sur tout. Tout ? Oh oui tout, je ne suis pas née de la dernière pluie chère Velma, et c'est pour ça que Diego est devenu comme mon fils. Et ainsi de suite. Elles avaient ri. Elles s'étaient pris la main. Nous avons donc toutes les deux un fils homosexuel. C'est le moins qu'on puisse dire, avait répondu Soledad. Et leurs fils spirituels aussi, vous connaissez James bien sùr ? Bien sûr, comment faire. C'est une beauté, disait Soledad. Velma expliquait qu'au début les rapports avec James n'avaient pas été simples, et puis qu'avec la maladie de Ronald tout s'était arrangé (James vit chez Ronald). Mais elle n'avait pas parlé de la fameuse lettre avec le mot rollercoaster, la lettre de James à Jimmy (Frédéric) avant qu'ils ne se connaissent, Velma supposait à juste titre que Soledad ne la connaissait pas. Et puis, plus tard, elle lui avait parlé de la lettre, quelques mois plus tard. J'ai eu tort ? avait-elle demandé à Frédéric (Jimmy). Tu es libre ma chérie et puis c'est de l'histoire ancienne, mais il faut que tu le dises à James. Oh. Oui et vite, pas de mensonges entre nous. Et elle a dit quoi Soledad quand tu lui as raconté ? Elle a dit que c'était très romanesque et que James était un héros dostoïevskien. Tu m'étonnes, elle l'adore, pas comme elle aime Diego mais elle l'adore, quand on aime, on aime tout n'est-ce pas ? Moi je n'aime pas tout de toi, mais tu es mon fils. Mais si, tu aimes tout de moi, tu aimes même ce que tu n'aimes pas. Tu es très fort avec les mots, avait souri Velma. Tu crois ? c'est pas les mots ma belle, c'est la vie, c'est comme ça. Tu vois, tu continues.

(à suivre) © »

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"Matteo le magnifique" 2023

 
résumé : deux longs voyages à 45 ans de distance, deux tournants qui se rejoignent

(extrait) « Le jour de Noël 1978, je l'ai dit à ma mère. Elle a pleuré. Elle voulait que je le dise aussi à mon père. Je l'ai dit. Il a dit, c'est sa vie. Ma mère a dit qu'ils m'aimeraient toujours mais qu'elle ne voulait plus en parler. On en a reparlé bien sûr. Elle disait toujours non avant de dire oui. Parce qu'elle aimait sa liberté. Mais mes aveux c'était pour continuer avec elle, notre histoire d'amour et que ce soit une histoire d'amour vraie, pas fausse. À la mort d'Hervé elle s'engagerait même dans une association de lutte contre le sida. Et mon père prêterait des locaux gratuitement pour les débuts de l'association à Dax.
Au début de l'année suivante, on s'est croisé un jour Hervé et moi dans le hall de Sciences Po, au 27 rue Saint-Guillaume, ce hall qu'on appelait la Péniche peut-être parce que ça ressemblait à une péniche, peu importe. J'ai proposé à Hervé d'aller au resto-u avec moi. Il avait déjà prévu d'y aller avec une fille mais il a décommandé sur le champ avec la fille et on y est allé ensemble. C'est là que ça s'est fait. Notre première vraie conversation après avoir déjeuné. Sur les trottoirs de Paris. Il faisait froid, on marchait et on parlait. C'était janvier. Je lui ai dit des choses sur la vie, les choses que je pensais depuis longtemps mais que je pensais de plus en plus. Les choses de la vie, ce serait notre histoire. Il était étonné. Il croyait que je pensais qu'aux études et au travail. Lui il avait déjà depuis longtemps un univers qui n'avait rien à voir avec Sciences Po, il avait ses livres et sa musique, musique classique essentiellement. Avec le temps on se ferait un peu changer l'un l'autre. Il me rendrait plus profond dans mes goûts, je le rendrais moins élitiste.
Dans les jours qui suivirent, je faisais des allusions de plus en plus claires sur moi, au téléphone notamment. Je disais par exemple que mon coiffeur était mignon. Mais Hervé croyait que je l'avais percé à jour et que je le taquinais sur sa propre sexualité. Lui non plus ne pensait pas que j'aurais pu être gay. Je lui parlais aussi de mes rencontres, celles du Trocadéro, sans préciser qu'il s'agissait du Trocadéro, je disais juste, j'ai rencontré un tel ou un tel. Ça l'étonnait que j'aie une vie sociale, jusqu'à présent il ne m'avait vu que travaillant du matin au soir. Un soir j'ai dîné avec un garçon que j'avais rencontré par une émission de radio, je l'avais entendu parler à une émission de Macha Béranger, j'avais aimé ce qu'il disait et j'avais demandé ses coordonnées, c'est comme ça qu'on s'était rencontré. Après le dîner, j'ai appelé Hervé, on s'appelait sans arrêt depuis notre conversation sur le trottoir, je lui ai dit que je ne reverrais pas ce garçon, Hervé était au courant du dîner, et j'ai rajouté, de toute façon il était moche. Là non plus il n'a pas compris. Il trouvait juste que c'était normal de préférer quelqu'un de beau à quelqu'un de moche, comme il me l'a dit plus tard. J'en avais assez qu'il ne comprenne pas. J'ai dit, t'as pas compris ? Il a dit, quoi ? Je suis homosexuel. Il m'a dit plus tard que si je lui avais annoncé que la terre était entrée en collusion avec Saturne ça lui aurait pas fait plus d'effet. Il a dit, moi aussi.
Et notre histoire a vraiment commencé. Quinze ans. L'éternité quand on est si jeune.
Et avec l'histoire commençait aussi l'histoire avec la vie. Trafiquer la vie. La faire mienne. Combattre le sale jeu de la vie. Combattre en aimant. Aimer d'abord. C'était pas acquis d'avance. Ma seconde du mois de juin précédent n'était que la condition pour commencer. Après l'émerveillement, le combat. Jusqu'à Matteo. Jusqu'à aujourd'hui. Jusqu'où ça mène, la liberté qu'on recommence chaque jour. © »

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L'insecte

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Matteo le magnifique




"Parce qu'eux" 1989
Éditions Saint-Germain-des-Prés

... et autres poèmes

 



Sachez-le ! Rien n'est ici à sa place et tout y sonne juste. L'amour surgit de ces poèmes comme de rites impurs ("des anges y croisent des robes noires"), le désespoir affleure sans l'emporter jamais. Car..., là où le verbe nous entraîne, "l'écume au loin des vagues éclaire un peu ces lieux". Force et lucidité de la vie incarnées dans les mots.
(Hervé Loyez)

« (L'obstacle)

le corps

m'ennuie

m'obstacle

pourrit

empêche

emprisonne

au début oui

après m'ennuie

je veux plusse

oh-delà

je veux l'autre

le libérer © »


Amazon: https://www.amazon.fr/Parce-queux-Jean-Michel-Iribarren/dp/2243031795/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1431619725&sr=1-2&keywords=jean+michel+iribarren

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France Culture : "Du jour au lendemain" par Alain Veinstein : "L'Insecte", de Jean-Michel Iribarren, éditions du Seuil, interview 2000

Alain Veinstein : Vous êtes né en 58 Jean-Michel Iribarren et votre éditeur nous informe que vous avez exercé divers métiers dans la politique et le cinéma, la politique et le cinéma c'est pas tout à fait la même chose...

Jean-Michel Iribarren : II y a beaucoup de gens qui disent que c'est pareil, je ne sais pas... Vous voulez que je vous dise exactement ce que j'ai fait ?...


Dites ce que vous voulez, vous êtes libre...

C'est vrai que j'ai fait beaucoup de choses... le parcours qui m'a mené a l'écriture a été long... j'ai commencé à écrire tard, à l'âge de 30 ans à peu près et je crois que ce que j'ai fait avant n'a pas franchement d'intérêt... ce qui est intéressant, c'est que tout ça menait à l'écriture, que l'écriture était déjà là même quand je n'écrivais pas, que mon meilleur ami, dont je parle dans le livre, lui, voulait écrire depuis qu'il était petit, ça a été long...


Et vous c'est une décision plus tardive ?

Ce n'a pas été une décision, c'est toujours une chose qui m'a étonné... J'ai toujours voulu, ça paraît un peu bête à dire comme ça, je ne sais pas : trouver sa place, m'exprimer dans une chose artistique, et ça a pris des chemins contournés, j'ai fait de la radio, j'ai voulu être comédien, et cette place je ne la trouvais pas... j'ai même tourné un rôle dans un moyen métrage de Jean-Luc Godard, et je crois que ça date de là, je me suis dit : c'est vraiment lui qui crée quelque chose, moi rien... alors je me suis dit qu'est-ce qu'il me reste ? il me reste écrire, alors j'ai écrit... parce que ce livre, c'est quand même pas le premier que j'ai écrit, c'est le premier publié mais c'est pas le premier que j'ai écrit.


J'allais vous poser la question

J'en ai écrit beaucoup...


Et pourquoi n'ont-ils pas été publiés... d'après vous ?

C'est très difficile que l'auteur dise ça, parce que s'il dit : c'est la faute des autres, on va dire c'est facile... je crois que le chemin qui mène de toute façon à une certaine reconnaissance, il est long et j'ai toujours dit que tout le temps que j'ai écrit sans être publié, j'avais une extraordinaire liberté, je crois que peut-être je n'aurais pas écrit L'Insecte si je n'avais pas été autant refusé, parce que j'ai vraiment été extraordinairement refusé, partout... j'ai rencontré des gens qui me disaient en substance : c'est bien ce que vous faites mais on ne va pas l'éditer ou... enfin il y avait toujours des raisons, honnêtes ou moins honnêtes, je n'en sais rien... je n'en sais rien, c'est difficile parce que maintenant je suis publié, je suis dans une maison d'éditions, alors je ne peux pas non plus cracher dans ma propre soupe, mais en même temps pourquoi pas...


Vous êtes publié mais en même temps, avec ce premier livre publié, vous faites une expérience dont vous m'avez parlé par écrit, puisque vous m'avez envoyé votre livre avec une lettre, une longue lettre, bien intéressante, vous faites l'expérience du silence, vous êtes heurté, c'est le mot que vous employez, au silence qui a accompagné la sortie de ce livre qui est sorti il y a 2-3 mois, et depuis 2-3 mois pas assez d'articles selon vous, pas assez de retentissement médiatique...


Non, il n'y a pas que ça, parce que si ce n'était que ça... On m'a dit aussi que c'était le propre de tout auteur de se heurter, quand il a écrit, à un certain silence... vraisemblablement... Mais ce livre parle du silence, et en l'écrivant, et dans ce que j'ai écrit, j'ai dit qu'il se heurterait au silence... j'avais un peu anticipé le silence parce que je croyais qu'il ne serait pas publié, alors il l'a été, et même à bras ouverts, de manière presque un peu inquiétante, et le silence c'est plutôt après, ce n'est pas un silence total, c'est un silence sournois... Ce livre je m'attendais à ce qu'il soit - peut-être naïvement, alors que ce que j'ai écrit n'est, je crois, pas naïf, mais c'est peut -être ce qui prouve que je suis encore dans la vie dans ce qu'elle peut avoir de... je ne sais pas comment dire... - donc les gens qui auraient dû soutenir ce livre ne le soutiennent pas, on me dit qu'ils ne savent pas comment en parler...


Et vous pensez qu'un livre ne peut pas se défendre tout seul...

Oui... oui, à la limite c'est d'ailleurs ce qui pourrait lui arriver de mieux, sûrement même ce qui pourrait lui arriver de mieux, parce que je pense que quelquefois dans la manière dont on défend un livre il y a beaucoup de malentendus aussi... mais c'est difficile pour un livre de se défendre tout seul, je ne sais pas si c'est plus difficile aujourd'hui qu'avant... mais le problème d'écrire, c'est qu'on est très libre quand on écrit, presque trop, presque trop parce qu'on est quand même coupé d'une certaine réalité, même si c'est bien aussi de s'en couper de cette réalité, parce que peut-être si on n'en était pas coupé on n'écrirait pas, et peut-être qu'on est plus proche d'une réalité plus essentielle... mais en même temps quand ce livre est écrit, il a besoin des autres, il a besoin d'être défendu, moi depuis 2-3 mois je me pose la question : est-ce qu'un auteur doit vraiment défendre ce qu'il a écrit ? c'est une question... en fait je réponds toujours oui, il faut défendre ce qu'on a écrit... mais peut-être que l'on devrait laisser les mots... et puis tant pis s'il y a le silence, peut-être qu'on devrait se résoudre à ça... je crois qu'il y a un orgueil aussi de l'écrivain qui est mal placé, il y a une envie de reconnaissance, de gloire, de gloire oui, enfin de gloire c'est exagéré, qui est mal placée aussi, qui est mal placée mais en même temps si on a écrit c'est parce qu' on a envie que ses mots "passent", les mots qui ne "passent" pas ils meurent, et moi je parle du silence alors si ce livre reste dans le silence, c'est aussi un échec du livre.


C'est un livre, c'est le moins qu'on puisse dire, qui crée un trouble... chez le lecteur...

C'est-à-dire...


L'Insecte, là, que vous publiez dans la collection de René de Ceccatty, Solo, parce que d'abord on ne sait pas si c'est un roman, ou si c'est un récit autobiographique...

C'est déjà son problème, pour ceux qui seraient chargés de le défendre... c'est un livre qui ne rentre pas dans une catégorie, c'est pas un essai, ça pourrait l'être, c'est pas vraiment un témoignage mais ça l'est aussi, alors au bout du compte je dis que c'est un roman, je pense qu'à partir du moment où j'ai fait parler le virus du sida...


Oui, parce que ça, c'est l'autre élément du trouble, c'est que dans ce livre-là, et à ma connaissance il n'y en a pas beaucoup qui en font autant, vous donnez la parole au mal, qui aujourd'hui en effet est le mal absolu, le mal qui à l'intérieur même du roman tue les personnages...

Il les a tués déjà... oui... est-ce que c'est le mal absolu ?... Ce qui est écrit aussi dans le livre, c'est que le mal absolu, c'est peut -être de ne pas regarder le mal...


L'indifférence...

Oui, l'indifférence... mais l'indifférence quelquefois ça n'est pas voulu, alors qu'il y a aussi une volonté de ne pas regarder le mal, il y a une forme d'organisation qui est basée, bâtie sur : ne pas regarder le mal... Ce que j'ai essayé d'écrire, c'est que ce qui fonde la vie, c'est aussi de ne pas regarder le mal, que tout se ramène finalement à ça... Le virus du sida, le pauvre, il a fait son travail de virus du sida et si je lui ai donné la parole c'est parce que justement je me suis dit que personne ne pouvait raconter, que j'en étais là, que personne ne pouvait raconter ce qui s'était passé et que justement celui qui pourrait le mieux le dire, ce serait le virus du sida... mais à partir de là on est quand même dans un romanesque, c'est pour ça qu'on peut dire que c'est aussi un roman mais c'est vrai que je ne raconte pas vraiment une histoire...


Non, c'est pas vraiment un roman à l'eau de rose... donc, il parle, il monologue, ce virus dans un livre écrit par un autre, un certain Sang Inquiet, qui est séronégatif, et qui vit avec Or Vif...

Sang Inquiet, c'est celui qui écrit le livre... donc c'est moi... et Or Vif, c'est la personne avec laquelle je vis, oui...


Sang Inquiet, c'est de l'encre noire...

Qu'est-ce que vous voulez dire ?


II est très noir...

Je ne crois pas.


... par son inquiétude même...

Non, ce qui est noir c'est justement de ne pas être inquiet, alors franchement je trouve que les gens qui vivent sans être inquiets sont... inquiétants... et qu'est-ce que ça veut dire être noir ?...


Noir comme l'encre...

Mais encore...


l'encre de l'écriture de ce livre... parce que c'est tout de même un livre...

ah oui, c'est un livre...


un livre ça ne s'écrit pas avec rien, ça s'écrit avec son sang, c'est-à-dire avec de l'encre...

Oui mais ça reste des mots... on ne sait pas en fait ce que c'est... et quand on a écrit un livre, on se dit que si ce n'est qu'un livre c'est pas la peine, si ce n'est qu'un livre...


Et qu'est-ce que ça peut être d'autre...

Peut-être qu' on écrit aussi pour le savoir... je crois qu' on se pose tout le temps la question... mais vous me disiez c'est noir, je sais que les gens qui ont aimé ce livre ne l'ont pas ressenti justement comme un livre "noir", ils l'ont ressenti comme un livre qui, je ne sais pas, qui leur donnait envie de lutter, qui n'était pas un livre désespéré, et que justement peut-être en disant le désespoir, en disant le mal, en approchant le mal, c'est là qu'on s'en sortait... C'est quand même ce que j'ai voulu raconter : que mes amis qui sont morts, ou ceux que je ne connaissais pas, j'ai eu l'impression que justement ils n'étaient pas morts pour rien, et que c'était le silence des autres qui voulait que cette mort soit vraiment une mort définitive... Dans la première page, je parle de colera alegria, j'ai voulu écrire une colère joyeuse, parce que ceux qui sont morts, dont on n'a pas parlé, n'ont pas cessé de rire, n'ont pas eu peur d'affronter leur mal... Mais la vraie question c'est quand même celle que vous m'avez posée, vous me dites c'est un livre, évidemment c'est un livre mais on se dit quand même, même si on a écrit ça, qu'un livre c'est pas grand-chose quelquefois, on ne peut pas se contenter de se dire qu'on a écrit, parce que quand on a écrit un livre on se sent un peu "quitte" aussi avec ce qu'on a écrit... je crois qu'on écrit pour savoir ce que c'est qu'un livre...


Qu'est-ce qu'il vous a appris ce livre-là sur vous-même ?

Il m'a appris que j'étais encore en vie... je ne sais pas s'il m'a vraiment appris quelque chose sur moi-même... et il continue de s'écrire ce livre, peut-être qu'il m'apprend presque plus de choses maintenant, peut-être qu'il me met aussi au pied du mur maintenant, puisqu'on parlait du silence qui peut aussi entourer ce livre, se dire : qu'est-ce que je fais maintenant, par rapport à ce livre ? est-ce que je me dis : je l'ai écrit voilà ou est-ce que je le défends ?... Et les autres continuent à écrire ce livre, je crois qu'on écrit avant, on écrit pendant et on écrit après, on écrit même quand on n'écrit pas. Est-ce qu'il m'a appris quelque chose sur moi ? je ne sais pas si on attend d'un livre... c'est pas une psychanalyse, un livre... on n'attend pas d'écrire un livre pour apprendre des choses sur soi, je crois que c'est plus d'aimer qui vous apprend quelque chose sur soi... c'est la confrontation au mal aussi qui vous apprend quelque chose sur soi, je n'essaie pas de me chercher dans mes livres... je pense que quand on écrit il ne faut pas non plus avoir une idolâtrie de la chose écrite, il faut être assez humble aussi, il faut aller vers les mots mais les mots... il y a quelque chose de très impuissant dans les mots, j'ai toujours dit qu'on écrivait plutôt entre les mots que les mots eux-mêmes... en même temps il y a cette chose quand on a écrit de dire : c'est écrit, alors c'est écrit c'est fini, et moi je déteste ce qui est fini, je ne crois pas a la fin, je ne crois pas à la fin d'aimer quand on aime, et je ne crois pas à la fin d'un livre, je pense que ce livre je l'avais commencé avant, que je le continuerai après...


II n'y a pas de dernier mot...

Non... on aimerait...


Même pour le virus...

Vous savez le virus, je l'ai fait parler mais je ne le connais pas si bien que ça, je crois que celui qui a écrit le livre... qui n'est pas totalement là, parce que c'est quand même un grand problème de venir parler de son livre, d'un livre, peut-être d'un livre comme celui-là...


C'est pas vous Jean-Michel Iribarren... ?

Oui, mais... vous savez j'aime beaucoup Barbara et elle disait : quand je chante c'est moi et ce n'est pas moi alors c'est moi et ce n'est pas moi... C'est peut-être ça, la recherche de soi-même...


Et là c'est qui aujourd'hui qui est en face de moi... ?

Ecoutez, c'est celui qui a écrit le livre qui est dans un studio de radio et qui... qui écrit mieux vraisemblablement qu'il ne parle...


Ou l'inverse...

Qui parle mieux qu'il n'écrit ?...


C'est possible, non?

... oui, j'aime bien parler... j'aime bien parler de ce que j'écris... il faut trouver le mot, la chose qui va vous faire dévider la pelote, quand on parle... Vous savez, j'ai écrit un livre à propos des homosexuels qui sont morts et je sais qu'il y en a qui se sont dit : bon c'est très bien ce qu'il écrit mais ce n'est qu'un livre, lui il n'a pas milité, il n'a pas combattu, il est séronégatif en plus, ce n'est qu'un livre... ils n'ont pas tout à fait tort non plus mais ils ont tort aussi quand même, parce qu'un livre c'est quand même beaucoup, on ne peut pas dire que c'est tout mais c'est quand même beaucoup... peut-être que c'est ça aussi le silence sur ce livre, c'est de mésestimer la force d'un livre... parce qu'il y a une force des mots... et que les mots peuvent aller contre la mort, contre le mal...


Ça, vous le pensez ?...

ah oui si je le dis, quand même...


C'est une drôle de confiance que vous leur faites aux mots...

Oui mais regardez... Je sais que le personnage que j'appelle Tête Perdue dans le livre, mon meilleur ami, qui est mort en 1993, qui était écrivain, Hervé Loyez, je sais que cette histoire avec lui continue et je sais qu'elle a beaucoup continué par les mots, ce qui prouve bien que les mots ne sont pas que les mots... Si je devais un peu mieux expliquer : il y a eu dans beaucoup de choses qu'il a écrites et que j'ai écrites avant sa mort, des choses qui anticipaient sur notre histoire "après" la mort... vous savez quand on pense que quelqu'un est mort mais qu'il est quand même encore avec vous, on est bien désemparé devant cette présence qu'on sent et qui est quand même absente, elle est quelque part, si on en est persuadé elle est quelque part, elle peut être dans les mots... c'est peut-être un peu bizarre pour celui qui entendra ça... mais oui je leur fais confiance aux mots, c'est un fait, mais je ne les crois pas tout-puissants, et puis je pense qu'il y a les mots et puis il y a les mots, et puis il y a ce qu'il y a entre les mots, et puis il y a sa propre vie quand même, je pense qu'on ne peut pas dissocier les mots de sa propre vie, et que beaucoup d'auteurs écrivent, et sûrement moi aussi, sans se dire : où est ma propre vie dans tout ça ?... vous comprenez, si l'on est qu'une institution, ou quelqu'un qui vient faire son livre comme ça... les mots se vengent de ça, les mots attendent quelque chose dans votre propre vie... les mots exigent de vous, ou alors ils vous rattrapent...


Vous n'êtes pas le maitre du jeu (je)...

On l'est trop et pas assez, on l'est trop parce que rien ne vous empêche quand on écrit, on se sent un peu tout-puissant... on ne l'est pas assez parce que tout ce qu'on cherche à dire on ne l'atteint jamais, qu'on a vraisemblablement trop parlé de soi aussi, qu'on veut écrire pour se déporter de soi mais que les mots vous ramènent toujours à vous-même quand même... je ne sais pas si cela a un rapport quand vous me demandiez : se connaître soi-même...


Je vous ai demandé ça, moi ?

Oui... vous m'avez demandé si en écrivant je me connaissais mieux...


Je vous ai demande ce que le livre vous avait appris sur vous-même...

Ce n'est pas la même chose... ?


Pas tout à fait mais enfin ne chicanons pas... II y a les mots et il y a les noms, il ya les noms que vous avez donnés aux personnages: Tête Perdue, Sang Inquiet, Or Vif... comme des noms d'indiens...

C'est un peu ça oui... c'est parce que je ne voulais pas que ces noms soient... je voulais un peu qu'ils soient symboliques, emblématiques, que ce ne soit pas totalement la réalité, mais j'ai donné aussi d'autres noms... voilà, ça c'est fait comme ça, je n'étais pas à Paris d'ailleurs, je réfléchissais à ça et j'ai trouvé ces noms-là, Sang Inquiet, Tête Perdue, Petit Balafré... mais bon, il ne faut pas y voir plus qu'il n'y a...


Et les indiens ont subi toujours de terribles hécatombes...

Peut-être, c'est vrai que quand on écrit il y a beaucoup de choses qui... on se dit après : tiens j'ai écrit ça... effectivement, peut-être... peut-être c'est en ça qu'un livre n'est jamais fini parce qu'il s'inscrit dans un lien, alors pourquoi pas, oui, avec les indiens... c'est drôle ce que vous me dites parce que j'en parle presque plus dans le livre que je viens d'écrire, de l'histoire des indiens...


Vous écrivez sur les indiens...

Non. Mais j'ai écrit un livre là, mais je ne sais pas si c'est très intéressant qu'on en parle maintenant, à propos des deux petits Guinéens qui avaient été trouvés morts dans la soute de l'avion il y a un an... j'ai imaginé un dialogue entre moi et un des garçons de cet avion... et c'est vrai que là, il y a des histoires d'indiens oui...


Et là dans L'Insecte, il y a une ligne, le livre suit une ligne qui est une ligne de partage entre "eux" et "les autres"...

Alors il faut que je vous dise qui sont "eux" et qui sont "les autres"... ? C'est ça ?


Bien, oui... mais vous pouvez y renoncer aussi mais ça serait dommage parce que c'est quand même au centre du livre...

"Eux", ce sont les homosexuels qui sont morts du sida et ceux qui étaient à leur côté, les homosexuels qui étaient a leur côté; alors "les autres", c'est... comment dire ? C'est le grand problème des autres, les autres ! Beaucoup me disent : "les autres", c'est les hétérosexuels, je sais qu'on a envie que ce soient les hétérosexuels, c'est vrai que ponctuellement dans cette histoire du sida c'est les hétérosexuels mais pour moi ce livre ne tient pas si on dit que "les autres" ce sont les hétérosexuels, "les autres" c'est : tout le monde, et "eux" se sont détachés des autres dans cette histoire du sida, ils sont devenus : eux.


Tout le monde, c'est-à-dire...

Tout vivant. Tout vivant qui participe a cette perpétuation de la vie, à ce système qui ne veut pas regarder le mal... tout ce qui est complice de ce qui fait la vie...


Vous laissez entendre que "les autres", ce sont les vrais malades... ceux qui disent n'importe quoi, qui disent par exemple que le sida a tué l'amour...

Oui, cette chose du sida qui a tué l'amour, alors ça je... le problème, c'est qu'il faudrait que je raconte tout le livre si je me mets à parler de ça, parce que le sida n'a pas tué l'amour non, ça arrangeait de dire que le sida tuait l'amour mais le sida n'a jamais empêché personne d'aimer... je pense que ce qu'on appelle l'amour est quelque chose qui soutient aussi ce que j'appelle le système de la vie... aimer vraiment c'est aller contre la vie, vous savez cette histoire de dire que l'amour est plus fort que la mort... on nous fait croire que l'amour est partout alors que c'est faux, parce que s'il était vraiment partout la vie ne serait plus ce qu'elle est... aimer va contre la vie... et le sida n'a pas tué l'amour mais le dire c'était un moyen de laisser dans le silence la mort des homosexuels...


Le sida n'a pas tué le rire non plus...

Non, parce que tous ceux qui sont morts ont beaucoup ri, beaucoup vécu, sûrement bien plus que ceux qui sont vivants, et qu'on plaisantait de la mort... Un jour je me suis levé, à un de mes meilleurs amis je lui ai dit : "alors pas encore mort !"... il y a eu une extraordinaire dignité là-dedans... et beaucoup de vie... Moi, ce qui m'embête aujourd'hui, c'est que j'ai l'impression que, même chez les homosexuels, on ne veut pas parler de cette histoire du sida, parce que la vie aussi fonctionne comme ça, sur l'oubli... alors que je pense que, si on n'oublie pas, si on regarde le mal, si on regarde la mort, c'est là qu'on est vraiment vivant, je pense que c'est ceux qui oublient, ceux qui n'ont plus la mémoire, ceux-là sont morts... et ça se retrouvera...


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"L'envol"

 
lettres à ma mère - lettres de ma mère


(lettre de ma mère)

Mon chéri. lundi 30.8.99
Si nous étions si bien cet été c'est grâce à toi, à ce que tu es, ta chaleur affectueuse, ta gaité et tout et tout, qui fait que lorsque tu n'es + là tu laisses un tel vide ! alors de toi (Barbara...) merci, merci, ça nous permet de vivre tous ces bons moments exceptionnels.
Aussi Alfredo que nous aimons tel qu'il est, sa gentillesse aussi.
Je ne t'ai pas dit tout cela au Tel. et nous le pensons tellement !-
Tendresse. Maman.
le flacon est envoyé ©

Jean-Michel Iribarren


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